Une
fois établis les paramètres de la communication, les
chercheurs se sont penchés sur les raisons pour
lesquelles on communique. Il en a résulté une
demi-douzaines de taxinomies qui répertorient et
surtout classent les fonctions communicatives.
La plus connue est celle proposée
par le linguiste Roman Jacobson (1963), qui conçoit
les fonctions selon la focalisation de l'acte:
- fonction
expressive: focalisation sur l'émetteur,
le locuteur, qui exprime ses émotions
- fonction
conative: focalisation sur le récepteur,
l'interlocuteur, chez qui l'on veut provoquer un
effet quelconque (questions, flatterie, ordres,
menaces, etc.)
- fonction
phatique: focalisation sur le maintien du
contact entre l'émetteur et le récepteur
(reconnaissance, courtoisie)
- fonction
métalinguistique: focalisation sur le
code (par exemple, parler du langage que l'on
utilise pour communiquer)
- fonction
poétique: focalisation sur le message
lui-même, par exemple pour la recherche de
nuances et d'effets de style
- fonction
référentielle: focalisation sur
l'information transmise (le «contenu»)
Cette
taxinomie a pour principal défaut d'être axée sur la
communication linguistique, sans doute parce que
pour un linguiste comme Jakobson, le langage est le
code par excellence, celui dans lequel tous les
autres peuvent être traduits (l'inverse n'étant pas
vrai). Mais on peut assez facilement généraliser ce
classement comme suit:
- fonction
expressive: l'acte communicatif reflète
surtout les caractéristiques, les désirs, les
besoins de l'émetteur, sans que les autres
paramètres exercent une influence déterminante
- fonction
conative: l'acte communicatif vise
surtout à affecter le récepteur, souvent de
façon physique, de lui faire faire quelque
chose. Lorsqu'on ordinateur envoie à
l'imprimante qui lui est connectée la commande
«imprimer», on peut parler de communication
conative.
- fonction
phatique: recouvre tout ce qui peut être
fait pour assurer le maintien du contact entre
l'émetteur et le récepteur, sans considération
particulière pour la forme ni le contenu des
messages. Dire «bonjour» le matin à son voisin
de palier n'implique pas un désir profond et
sincère de faire en sorte que celui-ci passe une
excellente journée: il s'agit d'un moyen par
lequel on lui fait savoir qu'on le reconnaît,
que l'on est en bon termes avec lui.
- fonction
métalinguistique: c'est la moins
convainquante des propositions de Jakobson, car
il est difficile de concevoir une communication
sur un code à l'aide de ce même code, à
l'exception du langage. De plus, parler du
langage s'assimile généralement à l'une des
autres fonctions.
- fonction
poétique: ici encore, cette fonction peut
sembler uniquement valable pour le langage,
mais, à la réflexion, on se rend compte que la
recherche de nuances et d'effets de style existe
dans diverses formes de communication, surtout
s'il on tient compte de la dichotomie
expression/substance propre à tout signe,
et donc à tout message. La fonction poétique
consisterait donc à privilégier l'expression
pour donner à celle-ci valeur de substance. Par
exemple, le port d'un certain vêtement (type,
coupe, couleur, etc.) peut servir à signaler son
appartenance à un groupe social, culturel ou
professionnel (fonction référentielle, voire
conative), plus rarement à exprimer une
esthétique toute personnelle (fonction
expressive), mais, au-delà de ces finalités, ce
choix représente la volonté de jouer sur les
possibilités offertes par chaque type de
vêtement, sans forcément attendre d'autre
résultat que le plaisir offert par la variété,
ou par la satisfaction d'avoir inventé une
nouvelle forme. La mode, le stylisme auraient
ainsi une fonction poétique --- qu'il vaudrait
sans doute mieux nommer esthétique ou ludique.
- fonction
référentielle: c'est pour ainsi dire
l'inverse de la précédente, puisqu'elle se
focalise sur le contenu du message, sur
l'information transmise.
La
plupart des autres taxinomies, postérieures à celle
de Jacobson, ne s'intéressent plus à de telles
fonctions, mais aux buts recherchés par les actes
communicatifs, qu'elles expriment par le moyen de
verbes à l'infinitif, en répondant à la question: «A
quelle(s) fin(s) communique-t-on?». Certains, comme
Britton, ont proposé un classement matriciel où
figurent en abscisse les modalités de la
communication (émission, réception, interaction),
mais cela revient à concevoir le processus comme
potentiellement unidirectionnel.
En développant et en
modifiant la taxinomie de Wight (1976), je propose
un classement en dix catégories, dont certaines
peuvent s'assimiler à celles de Jacobson
1 |
Former/maintenir
des liens |
engager
le contact, saluer, faire connaissance,
briser la glace, se présenter, plaisanter,
sympathiser... [phatique]
|
2 |
Agir
avec / sur le récepteur |
coopérer,
proposer une action, solliciter, négocier,
persuader, diriger, ordonner, menacer,
encourager, donner des instructions... [conatif]
|
3 |
Informer |
enregistrer,
rapporter, impliquer, expliquer,
récapituler, narrer, décrire... [référentiel]
|
4 |
Evaluer |
deviner,
prédire, projeter, poser des hypothèses;
estimer, imaginer, inventer, se mettre à
la place de; calculer, apprécier, juger;
complimenter, critiquer, se moquer...
|
5 |
S'exprimer |
formuler
des opinions, des attitudes, des valeurs,
des sentiments, des émotions; diriger son
action; pratiquer l'introspection... [expressif]
|
6 |
Chercher |
questionner,
enquêter, scruter, réfléchir, s'informer,
considérer, examiner, délibérer...
|
7 |
Etablir
des raports |
comparer
par analogie et métaphore, classifier,
définir, identifier, ordonner en séquence,
sérier, formuler des hypothèses, prouver,
déduire/induire, justifier.
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8 |
Théoriser |
analyser,
généraliser, abstraire...
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9 |
Élucider |
interpréter,
traduire, déchiffrer, faire une glose,
annoter ...
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10 |
Jouer
|
manipuler
l'expression à des fins purement
esthétiques. Rimer, jouer sur les mots,
déformer volontairement le langage,
composer des anagrammes, des rébus, des
charades... [poétique]
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