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3 octobre 2024

Protocole de citation de ces pages

 Implicite et implication
© 2024 Guy Spielmann 

On désigne par « implicite » tout ce qui est communiqué par le langage sans être exprimé de manière dénotative, c'est-à-dire en utilisant les ressources linguistiques permettant de produire un message dont le sens correspond à ce qu'on veut communiquer au sens strict. Ce phénomène, contrairement à la métaphore, la métonymie et autres « figures du discours », repose donc sur le non-dit, et non pas sur un écart.

H. P. Grice (Logic and conversation, 1975) est l'un des premiers à avoir établi que ce qu'un locuteur veut dire peut différer de ce que veut dire l'énoncé (ou la phrase) qu'il utilise pour s'exprimer. Soit par exemple le dialogue suivant :

Catherine : « Veux-tu venir au cinéma avec moi ce soir ? »
Jean-Pierre : « Je dois finir mes devoirs. »
Catherine : « Dommage, j'avais des billets gratuits. »

Dans cet échange, la phrase que prononce Jean-Pierre, à strictement parler, ne répond pas à la question de Catherine. Une réponse explicite serait « Oui, bonne idée, je veux bien venir au cinéma avec toi ! » ou « Non, désolé, je ne peux pas venir au cinéma avec toi parce que je dois finir mes devoirs. » Pourtant, Catherine comprend très bien que Jean-Pierre décline son invitation. Celui-ci ne l'a pas exprimé, mais il le lui a communiqué à l'aide d'un énoncé qui ne fait pas référence au fait d'aller au cinéma ; seule la cause de son refus est exprimée.  «Je ne peux pas venir» reste implicite.

Grice a proposé le verbe implicate et le nom implicature pour désigner ce phénomène ; ces termes sont des néologismes destinés à éviter en anglais la confusion avec imply et implication, qui sont utilisés en logique formelle—en français, ces distinctions ne sont pas possibles. Une implication (ou implicature, mais ce terme n'est pas attesté dans les dictionnaires français) constitue ce que John Searle appelle un « acte de parole indirect » (indirect speech act) dans la mesure où le locuteur accomplit un acte de parole (ici, déclarer qu'on ira pas au cinéma) à l'aide d'un énoncé qui ne correspond pas sémantiquement à l'acte de parole accompli.
Dans notre exemple, il s'agit d'une implication conversationnelle ; c'est-à-dire qu'elle fonctionne dans le contexte d'un échange verbal. Un autre type d'implication, au sens plus conventionnel de la logique, consiste en une relation entre deux proposition telle que la première étant vraie, la seconde est nécessairement vraie : la proposition « Jean-Pierre aime le cinéma, mais il n'ira pas au cinéma ce soir. » implique conventionnellement que l'on pourrait s'attendre à ce que Jean-Pierre aille au cinéma, puisqu'il aime ça.
Grice postule que l'implication conversationnelle fonctionne grâce à un principe général de coopération entre interlocuteurs—il faut faire ce qui est requis par le but communément accepté de la conversation—, qu'il décine en quatre « maximes » :

Maxime de Qualité : soyez honnête, ne communiquez pas intentionnellement ce que vous savez être faux ou inexact ;
Maxime de Quantité  : Fournissez l'information requise en quantité nécessaire, ni trop ni trop peu ;
Maxime de Pertinence : Fournissez une information pertinente par rapport au but de l'échange ;
Maxime de Manière : Évitez l'obscurité et ambiguité, soyez concis et cohérent.

Le non-respect de ce principe de coopération peut mener à la confusion et même au conflit, mais il est aussi une source d'humour.


L'inférence est, dans un événement communicatif, le processus inverse de l'implication. Pour qu'une implication du locuteur fonctionne, il faut que l'interlocuteur permet de décoder le message correctement. réalise une inférence qui lui . Dans l'exemple ci-dessus, Catherine infère que Jean-Pierre refuse son invitation. Voici une version légèrement différente :

Catherine : « Veux-tu venir au cinéma avec moi ce soir ? »
Jean-Pierre : « Je dois finir mes devoirs. »
Catherine : « Très bien, donc, rendez-vous ici à 19h00. »

Jean-Pierre : « Non, ça va me prendre toute la soirée. »

Ici, Catherine n'a pas inféré  que Jean-Pierre refusait son invitation, croyant que son affirmation sur la nécessité de finir ses devoirs était un message purement informatif. Ce n'est pas un problème de décodage, sur le plan strictement linguistique, mais c'en est un sur le plan pragmatique ; l'implication n'a pas fonctionné car elle n'a pas déclenché l'inférence souhaitée.