Introduction à la sémiotique


I.  Code, Système, Signe
   © 2022 Dr. Guy Spielmann

Le code qui permet toute communication est un système signifiant, c'est-à-dire un ensemble cohérent d'unités perceptibles (« signifiants ») qui correspondent à des unités de sens (« signifiés »). L'alliance de ces deux types d'unités constitue un signe, unité minimale d'un système signifiant. 


     Le concept de système s'applique utilement à l'étude de la plupart des sciences, des sciences sociales, mais aussi des humanités ou des beaux-arts. Le langage est l'un des systèmes les plus complexes que nous connaissons, et jusqu'à présent nul n'est jamais parvenu à rendre compte exactement de son fonctionnement, même si la morphologie, la syntaxe, la sémantique, la sémiotique, etc. sont toutes des systémiques appliquées. Toutes les sciences du langage réclament donc une certaine familiarité avec le concept de système et ses implications, et en particulier celles qui ont trait à la production du sens.

1. Qu'est-ce qu'un système?

Voici quelques une des définitions qui ont été proposées:

  • «Quelque chose de plus ou moins organisé qui est distinct, de quelque façon que ce soit, de son environnement» (Lerbet, 1984)
  • «Quelque chose qui fait quelque chose (activité = fonction) et qui est doté d'une structure, qui évolue dans le temps, dans quelque chose (environnement) pour quelque chose (finalité)» (Le Moigne, 1977)
  • «Ensemble de composants en interaction non-aléatoire» (Berbaum, 1982)
  • «Combinaison d'éléments formant un tout organique en vue de l'atteinte d'un but spécifique ou de la réalisation d'une mission générale. Système circularoire/digestif/nerveux; sytème planétaire/scolaire; système de canalisation / électrique / ferroviaire / informatique / de défense / de signalisation / métrique.» (Legendre, 1993)
    «Ensemble dynamique d'éléments distincts, interreliés, possédant une structure et formant un tout cohérent, ordonné et orienté vers un but.» (Legendre, 1993)

Les traits indispensables pour définir un système peuvent se résumer comme suit:


Pluralité des éléments:
Un élément n'ayant de relations avec aucun autre ne peut, par définition, constituer un système.

Cohérence interne et détermination externe:
le système existe par sa propre structure, mais aussi parce qu'il est d'une certaine manière distinct de son l'
environnement.
Il a donc une frontière, mais celle-ci est poreuse (la plupart des systèmes sont ouverts, c'est-à-dire qu'ils ont des interactions avec leur environnement par l'entremise d'une interface), et souvent variable selon le point de vue.

Non-Sommativité: Le système n'est pas réductible à la seule somme de ses éléments; «le tout est plus grand que la somme de ses parties».

Interaction dynamique entre les éléments: Les
relations, dont l'ensemble forme la structure. Un simple aggrégat d'éléments ne constitue pas un système.

Processus temporel: le système peut se modifier dans le temps, tout en gardant son identité propre (homéostasie).

Fonction, orientation vers un but: c'est souvent lui qui permet de déterminer la nature du système, et même son existence.



2.     Quelques caractéristiques du système 

  • Un système peut être décomposé en sous-systèmes, lesquels peuvent former une hiérarchie. Ainsi le système corps humain se décompose en sytème nerveux, digestif, respiratoire, etc., eux-même formés d'organes (foie, poumon, veines, etc.); chaque organe est formé de tissus, eux-mêmes formés de cellules, etc... D'un autre côte, l'individu humain peut être considéré comme sous-système de la famille, qui est un sous-système de la société. Divers termes sont utilisés pour exprimer cette hiérarchie par emboîtement: supersystème, suprasystème, métasystème (en ordre croissant).
  • Un système décomposable en systèmes non hiérarchisés sera désigné par le terme de macrosystème, et ses éléments, micro-systèmes
  • Notons que les éléments, les unités du système, entretiennent toujours deux types de relation: de ressemblance (deux entités n'ayant absolument aucun point en commun ne peuvent pas, par définition, faire partie du même système) et d'opposition (sans quoi une unité ne se distinguerait pas d'une autre). Néanmoins, toute différence n'a pas forcément valeur d'opposition dans un système donné; certaines différences ne produisent que des variantes d'une même unité.
  • On définira comme système signifiant tout système qui a pour but de produire du sens—même si cette fonction coexiste avec d'autres, comme par exemple le système vestimentaire, qui porte à la fois un sens social et esthétique, mais aussi sert à protéger les humains des éléments.


3.     Les Réseaux 

     Un réseau constitue la réalisation concrète d'un système. Dans un réseau ferroviaire, par exemple, les éléments sont des gares, et les relations des voies de chemins de fer sur lesquelles circulent les trains. Sur ce modèle pourtant très simple, on constate immédiatement la nature complexe du système, puisque les relations sont en fait de quatre types: la présence des rails, la présence de l'électricité—toutes deux permanentes—, la présence des trains et des passagers qui y prennent placent—toutes deux contingentes. Ces quatre éléments sont liés par des rapports hiérarchiques: puisque le réseau ferroviaire n'existe que pour le transport des passagers, la présence de ceux-ci constitue un préalable à son existence; mais, d'un autre côté, l'intégrité du réseau dépend de la présence de chaque morceau de rail. De même, les rails ne servent pas à grand chose sans les trains qui peuvent y circuler, et ceux-ci ne peuvent pas circuler sans rails, ni sans électricité.... Les questions qui se posent quant au développement et à la maintenance des réseaux s'interpréteront différemment si l'on se place du point de vue des structures permanentes, des structures contingentes, ou de leur utilisation.
    Le schéma ci-dessus ne représente qu'un type d'architecture systémique parmi d'autres. Non seulement les réseaux ont pour la plupart quatre dimentions (trois dans l'espace, plus le temps), mais ils comprennent un certain nombres de nodes servant à y assurer une certaine centralisation sans laquelle l'efficacité se voit considérablement réduite. Dans les exemples ci-dessous, on voit plusieurs modes de centralisation possible:


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En haut à gauche, le mode «centralisé» relie tous les éléments à une node centrale unique. Le mode «décentralisé» regroupe les éléments par petits paquets, dont un seul est relié à l'extérieur. Le mode «distribué» correspond à peu près à mon schéma ci-dessus, puisque chaque élément y est relié à plusieurs autres sans hiérarchisation. Quant à l'internet, il constitue un compromis entre la distribution et la centralisation, puisqu'il n'a pas de centre mais que chaque élément—c'est-à-dire chaque ordinateur qui y est relié—doit passer par un serveur (une node).

Source: infographie publié dans Science & Vie 987 (sept. 1999), p. 97.



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Le schéma ci-contre nous aide à visualiser l'architecture d'un réseau de communications, celui de l'hôpital Georges-Pompidou à Paris. Les postes d'ordinateur individuels sont ainsi reliés dans un réseau local (LAN) dont les nodes sont trois serveurs (en bas à droite) qui répartissent l'information sur plusieurs entrepôts de données (cylindres beige). Le réseau comporte en outre des éléments contingents, les «équipements nomades» (téléphones cellulaires, par exemples), reliés par des ondes plutôt que par un câble.

Source: infographie publié dans Le Monde informatique 862 (1er sept. 2000), p. 46.

4.     Les Systèmes signifiants 

     Un système signifiant est un système dont la principale fonction est de produire ou de véhiculer du sens. Il importe de bien distinguer le système lui-même et le(s) codage(s) qui peuvent l'exprimer. Ainsi, les langues naturelles sont des systèmes signifiants composés d'éléments qu'on appelle «signes linguistiques» et manifestés par des sons que produisent les êtres humains locuteurs de ces langues. Les diverses formes d'écriture ne sont pas toutes, en elles-mêmes, des systèmes signifiants: dans les langues indo-européennes, par exemple, l'écriture est un code graphique qui renvoie aux sons du langage, de manière plus ou moins cohérente (très cohérente en espagnol et en allemand, beaucoup moins en anglais et en français). Dans certains cas, comme les idéogrammes du chinois ou les hyéroglyphes de l'Égypte antique, un signe peut renvoyer à la fois à une image mentale (un signifié) et à un son ou une syllabe.
     D'autres systèmes utilisent le son, la couleur, le geste, comme éléments signifiants.
     Le langage a, parmi les systèmes signifiants, un statut particulier, d'abord parce qu'il est double: à un système de sons (phonologique) correspond un système de sens. Une seconde spécificité du langage est de pouvoir exprimer l'ensemble des conceptions de l'esprit humain, de l'expérience et de la réalité; ce n'est pas toujours le système le plus efficace pour un besoin donné, mais c'est—de très loin—le plus polyvalent.

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