Texte
et écriture:
Composer un texte et l'améliorer
Les
conseils que je propose ici visent à assurer à
un texte écrit une qualité minimale plutôt
qu'optimale. S'il est en effet difficile de formuler des
prescriptions systématiques et génériques
pour parvenir à l'excellence, on peut facilement
déterminer les mesures à appliquer pour
s'assurer qu'un texte, quel qu'il soit, ne présente
aucun défaut majeur, évite les impropriétés
les plus courantes, et ne souffre d'aucune obscurité
manifeste.
Trois points de
vue selon lesquels on peut évaluer un texte
Évaluer un texte ne saurait se ramener
à l'application d'une simple échelle (mauvais/médiocre/bon/excellent),
et exige la prise en compte de trois plans distincts faisant
chacun l'objet d'un jugement gradué: le texte en
tant que tel, le matériau linguistique qui le compose
et le contenu qu'il véhicule. L'évaluation
du contenu dépasse toute formulation préconçue,
puisqu'elle dépend du domaine de connaissance abordé;
en revanche, la qualité du discours et celle du
texte lui-même peuvent se calibrer en fonction de
descripteurs standardisés.
I. Plan textuel: le texte en tant que texte
0. Le premier niveau est celui de la compréhensibilité:
lu par un locuteur natif non favorablement disposé,
c'est-à-dire qui ne fait pas preuve d'une patience
ou d'une complaisance particulière, le texte fait
sens. Bien que ce texte puisse comporter des erreurs linguistiques—et
certainement des faiblesses et des imperfections sur le
plan textuel—, celles-ci n'empêchent pas le
décodage au sens le plus strict, car elles restent
dans le domaine de la compétence native. Quoi qu'il
en soit, le type textuel doit sembler
clair. Les erreurs d'allophones (locuteurs d'une autre
langue), en revanche, sont susceptibles de gêner
ou d'empêcher la compréhension—le lecteur
n'est pas censé connaître la langue maternelle
du scripteur—si bien qu'il faut systématiquement
les éliminer pour parvenir à ce niveau minimal.
Le fait qu'un texte au degré zéro ne comporte
aucune erreur grave n'en fait pas pas forcément
un bon texte....
1. Le second niveau est celui de l'efficacité
du texte selon le but qu'on lui s'assigne, c'est-à-dire
sa capacité à remplir les fonctions qu'il
assume (expliquer, décrire, raconter, convaincre,
distraire, amuser, intriguer, etc.) auprès d'un
lecteur supposé (un parent ou ami, le «grand
public», un professeur d'université, un locuteur
allophone, etc.). Cette efficacité passe souvent
par la conformité à un type textuel:
l'essai, l'éditorial, la dépêche,
la nouvelle, etc.
Ce degré implique, outre l'absence d'erreur grave,
un niveau avancé de nuance dans l'expression, qu'il
s'agisse du vocabulaire (le «mot juste») ou
de la structure. Il incorpore des stratégies rhétoriques
et discursives particulièrement adaptées
au type textuel, choisies pour servir au mieux les fonctions
expressives et comunicatives mises en œuvre, de même
que le niveau de langue (registre). Ce degré est
celui de la synergie entre forme et contenu.
Chaque type se définit par un ensemble de critères:
l'essai, par exemple, doit toujours comporter une introduction
et une conclusion, et présenter une argumentation
claire, organisée de manière logique, qui
examine divers aspects du sujet choisi; la dépèche
doit rester très brêve, principalement factuelle,
et fournir les données essentielles d'une information
(quoi? qui? quand? où? pourquoi?).
De plus, chaque type textuel utilise des ressources linguistiques
propres: vocabulaire (parfois technique), syntaxe, tournures
idiomatiques, procédés rhétoriques
de base, etc.
Quel que soit le type utilisé, la structure
est primordiale: elle doit être claire
(même lorsqu'elle est complexe), cohérente
(les divers éléments sont disposés
de manière raisonnée, et non aléatoire)
et présenter un équilibre
qui contribue à son efficacité. Par exemple,
si l'on compose un texte narratif (dont le but est de
raconter une histoire), il faudra presque certainement
y inclure des passages descriptifs; mais si les descriptions
finissent par retenir l'attention du lecteur au point
qu'il ne parvient plus à suivre le fil de l'histoire,
l'efficacité du texte du point de vue de la narration
s'en trouve compromise.
3. Au troisième niveau, le texte présente
certaines qualités esthétiques
qui en rendent la lecture agréable et captivante:
il se déroule avec fluidité, produisant
sur le lecteur une forte impression sans que les techniques
utilisées ne soient mises en évidence. Bien
que les critères ici soient plus subjectifs, on
peut en retenir trois: l'utilisation de figures
rhétoriques qui donnent au texte plus
de relief, plus d'originalité; l'exploitation optimale
du lexique (l'ensemble des mots disponibles
dans une langue) et le registre, c'est-à-dire
le jeu sur les niveaux de langue. Les effets rhétoriques
peuvent porter sur l'organisation des phrases, la formulation
des idées, le choix des mots et des expressions,
selon un répertoire de figures qui ont été
identifiées et répertoriées depuis
l'antiquité. L'exploitation du lexique consiste
à rechercher des mots non seulement exacts, mais
moins convenus ou plus nuancés, voire inattendus
ou rares. Les ressources du registre permettent d'employer
des termes et des expressions qui relèvent soit
du niveau familier, et même vulgaire ou argotique,
soit du niveau soutenu, et, au-delà, du niveau
poétique et littéraire, selon les possibilités
offertes par le type textuel. C'est sans doute là
le domaine le plus difficile à aborder, car il
exige une très bonne connaissance de la langue,
nourrie par d'abondantes lectures.
Au-delà de l'efficacité, l'auteur
veut ménager à son public un véritable
plaisir de lecture; à ce stade, la créativité
et l'originalité jouent un rôle important,
mais elles s'appuient sur l'expertise technique autant
que sur l'imagination.
II. Plan discursif: correction
et efficacité du matériau linguistique (discours)
utilisé
Voir aussi l'Échelle des acquis grammaticaux
1. Le texte élémentaire ou minimal
La syntaxe
se caractérise par l'emploi dominant de phrases
simples (sujet-verbe-complément). On y trouve une
majorité de propositions indépendantes et
juxtaposées, ou des phrases construites par coordination
(«mais» et «et» en particulier).
Les constructions complexes se limitent aux subordinations
les plus courantes («parce que», «quand»),
et aux relatives simples (avec «qui», «que»,
«où»).
Le vocabulaire
se cantonne au «français fondamental»,
celui des mots les plus courants, et donc peu précis.
Les répétitions abondent. Grande fréquence
d'«être» et d'«avoir» comme
verbe principal, ainsi que la formule «il y a»
(et «il y a... que/qui/où»)
Les marqueurs textuels de
transition (adverbes et locutions adverbiales
notamment) restent rares et très simples («pourtant»,
«ainsi»)
Les modes/temps verbaux
se limitent essentiellement à l'infinitif présent,
à l'indicatif (présent, imparfait et/ou
passé composé), et peut-être du conditionnel
présent et du subjonctif présent utilisé
dans des formules à haute fréquence («Il
faut que...»)
Ce niveau de texte n'est réellement adéquat
que pour la description et la narration simples, et les
sujets concrets. Il est insuffisant pour l'argumentation.
2. Le texte normal ou moyen
La syntaxe
se caractérise encore par l'emploi fréquent
de phrases simples et construites par coordination, mais
les constructions complexes sont couramment utilisées,
faisant appel à des subordinations variées
(«bien que», «même si»,
«comme», «tandis que»), et aux
relatives avec «dont» et la série «auquel»,
«desquels». On voit apparaître des mises
en apposition avec le participe passé ou, plus
rarement, présent.
Le vocabulaire
comprend des termes spécialisés et reflète
un effort pour employer le «mot juste». Les
mots génériques sont rares. Pas ou peu de
répétitions au niveau du paragraphe. Usage
de figures simples comme la comparaison, l'euphémisme
et l'hyperbole.
Emploi de marqueurs textuels de transition
(adverbes et locutions adverbiales) fondamentaux.
Les modes/temps verbaux
se diversifient: infinitif passé, indicatif futur
et plus-que-imparfait, conditionnel passé et du
subjonctif présent utilisé avec diverses
conjonctions.
Ce niveau de texte est adéquat pour une argumentation
peu complexe, sans permettre beaucoup de nuances ni suffire
à traiter des sujets très abstraits.
3. Le texte avancé ou
expert
La syntaxe
se caractérise par l'emploi dominant de constructions
complexes exploitant un large répertoire de ressources
. Elle fait appel à la subordinations à
l'aide de conjonctions de basse fréquence («sauf
à», «quelque», «tout en»)
et aux subordinations enchâssées. Apparition
des relatives avec le subjonctif. Les mises en apposition
avec les participes passé et présent sont
courantes.
Le vocabulaire
est varié et démontre une recherche de nuance.
Usage de figures comme la prétérition, la
litote, le zeugme. Pas ou peu de répétitions
au niveau de la phrase.
Emploi systématique de marqueurs textuels de transition
variés («par ailleurs», «quoi
qu'il en soit»).
Les modes/temps verbaux
se diversifient: infinitif passé, indicatif futur
et plus-que-imparfait, conditionnel passé, subjonctif
présent utilisé avec diverses conjonctions.
Ce niveau de texte convient à toutes les fonctions,
y compris les argumentations complexes et nuancées
sur des sujets très abstraits.
= Descriptif composite et générique
d'un texte de qualité optimale =
Le texte, qui ne comporte ni redites ni répétitions
inutiles, est organisé selon une structure
claire, cohérente et efficace (quelle qu'elle soit),
bien signalée par l'utilisation de la mise
en page (paragraphes, alinéas) et de marqueurs
textuels de transition (adverbes et locutions
adverbiales notamment). Cette structure sert avec efficacité
les fonctions (descriptive, narrative,
expressive, argumentative, injonctive), qui apparaissent
manifestes au lecteur. Le cas échéant, les
paramètres généralement admis du
type textuel choisi ou imposé
(compte-rendu, dissertation, éditorial, nouvelle,
lettre administrative, etc.) sont respectés.
Le niveau de langue (soutenu, normal
ou familier) est approprié à ces fonctions,
La syntaxe
(construction des phrases) reflète une très
grande variété de forme: propositions indépendantes,
coordonnées et subordonnées; usage de propositions
subordonnées relatives, gérondives, infinitives,
et emploi judicieux de la ponctuation, y compris les tirets
et les parenthèses. A moins de rechercher un effet
stylistique particulier, on recourt aux phrases complexes
plutôt qu'à l'accumulation de phrases simples.
Le vocabulaire
est à la fois varié et précis.
Dans les meilleurs cas, on notera une recherche stylistique
pouvant aller de choix lexicaux délibérés
à l'utilisation de figures (métaphores,
litotes, hyperboles...), de périodes ou de cadences.
La morphologie
(accords de genre et de nombre, désinences des
verbes, constructions prépositionnelles, contractions...)
ne comporte aucune incorrection, sauf dans l'utilisation
délibérée d'un niveau de langue familier.
L'orthographe
est également toujours correcte.
III.
Le Plan du contenu
Il
dépend évidemment du sujet dont traite le
texte. L'important ici est la clarté, la précision,
la cohérence et la correction.
IV.
Les Barbarismes (pour les allophones)
On
désigne par ce mot des formes fautives par effet
de calque, qui se produit lorsqu'on traduit
littéralement (mot à mot) un texte d'une
autre langue au français. Ce genre de faute est
particulièrement problématique car il peut
empêcher un locuteur natif de comprendre le texte,
ce qui ne serait pas le cas des erreurs commises par un
scripteur natif (solécismes)—gênantes,
mais qui n'entravent pas la compréhension.
A+ Peu ou pas de barbarismes: le texte
pourrait avoir été écrit par un francophone.
A/A- barbarismesépars, essentiellement
limités au vocabulaire.
B barbarismes récurrents (parfois
plusieurs par phrase) ) et présents à tous
les niveaux (vocabulaire, morphologie et syntaxe), mais
sans forcément gêner la compréhension.
C barbarismes fréquents (souvent
plusieurs par phrase) et présents à tous
les niveaux (vocabulaire, morphologie et syntaxe), qui
gênent fréquemment la compréhension.
D. L'ensemble du texte semble avoir été
traduit d'une autre langue mot à mot: même
si certains passages restent compréhensibles, un
loctuteur natif aurait du mal à suivre le texte.
F L'ensemble du texte semble avoir été
traduit d'une autre langue mot à mot: un loctuteur
natif ne pourrait pas suivre le texte.
Consignes générales à suivre lors
de la composition d'un texte
ORGANISATION
ET STRUCTURE GÉNÉRALE
|
Mon
texte est organisé selon une structure
claire, cohérente et efficace (quelle qu'elle
soit), |
|
J'ai
respecté les paramètres du type
textuel choisi ou imposé (compte-rendu,
dissertation, éditorial, nouvelle, lettre
administrative, etc.). |
|
Cette
structure est bien signalée par l'utilisation
de la mise en page (paragraphes,
alinéas) et de marqueurs textuels
de transition (adverbes et locutions adverbiales
notamment). |
|
Cette
structure sert avec efficacité la/les fonction/s
du texte (informative / descriptive, narrative,
expressive, argumentative, injonctive). Ces fonctions
apparaissent manifestes au lecteur. |
SYNTAXE
(Structure des phrases)
|
Mon
texte est construit surtout à l'aide de phrases
complexes; j'ai évité l'accumulation
de courtes phrases simples (le «style télégraphique»). |
|
Je
me suis efforcé d'employer une grande variété
de formes syntaxiques: propositions indépendantes,
coordonnées et subordonnées; propositions
subordonnées relatives, propositions gérondives,
propositions infinitives.
|
|
Je
structure mes phrases en priorité à
l'aide de conjonctions de subordination
(bien que, même si, si bien que, etc.). |
|
Je limite au maximum les phrases
coordonnées avec «mais»,
«et» et «donc». |
|
Mes
phrases ne commencent jamais par des conjonctions:
«Mais», «Aussi», ou «Donc»;
ni «Puis» ou «Alors» (sauf
dans une narration chronologique). |
|
J'ai
vérifié que je n'utilisais pas d'adverbe
à la place d'une conjonction.
|
|
J'emploie
correctement toutes les ressources de la ponctuation
pour structurer mes phrases: le point [.], la virgule
[,], le point-virgule [;], les deux points [:],
les guillemets [«»], le tiret [—],
et les parenthèses [()]. |
VOCABULAIRE (choix des mots)
|
Au
départ, j'ai composé mon texte à
partir de formes linguistiques en français
que j'ai apprises ou observées,
et non en traduisant littéralement des mots
et des phrases (calque). |
|
Je
me suis assuré (à l'aide d'un dictionnaire,
par exemple) que tous les mots que j'utilise existent
en français, et que je les ai orthographiés
correctement. |
|
Je
suis certain que tous les mots que j'utilise ont
en français le sens que je leur donne dans
ce texte. |
|
J'ai
vérifié le genre des
noms (masculin ou féminin) dont je n'étais
pas absolument certain. |
|
J'utilise
principalement des verbes de sens actif,
et j'évite autant que possible «être»
et «avoir» comme verbe principal, ainsi
que la formule «il y a» (et «il
y a... que/qui/où») |
|
Je
n'utilise presque jamais la formule «il y a»
et «il y a... que/qui/où». |
|
J'évite
absolument les mots vagues et génériques:
«chose», «personne», «gens»,
«intéressant», «faire»,
«beaucoup de», «différent»,
«important», etc. Je les ai remplacés
par des mots précis, en tenant compte des
nuances de sens. |
|
J'ai
éliminé les répétitions
(sauf dans un but stylistique délibéré).
Je ne répéte jamais un même
mot (à l'exception des mots grammaticaux)
dans un même paragraphe; je le remplace par
un pronom, un synonyme ou je l'élimine en
reformulant la phrase. |
|
J'ai
éliminé les redites:
je ne reprends pas deux fois une même idée
(même paraphrasée), sauf pour un rappel
destiné à soutenir une argumentation.
Dans ce cas, j'utilise une formule qui signale (et
excuse) la redite: «ainsi que je l'ai remarqué
plus haut», «je le répète»,
«comme nous l'avons vu», etc. |
|
En
construisant des phrases complexes, j'ai réduit
autant que possible le nombre de verbes
conjugués à une forme personnelle,
que j'ai éliminés lorsqu'ils ne sont
pas absolument nécessaires, ou que j'ai remplacés
par un nom ou une forme impersonnelle—infinitif,
participe présent ou passé. |
MORPHOLOGIE
(formation des mots)
|
J'ai
vérifié tous les adjectifs, les déterminants
et les participes passés pour m'assurer qu'ils
sont correctement accordés en genre
(masculin / féminin) et en nombre
(singulier / pluriel). |
|
J'ai
vérifié la construction
des verbes: transitif ou intransitif,
avec un objet direct ou un objet indirect (avec «à»
ou «de»), pronominal ou non, etc. |
|
J'ai
vérifié la conjugaison des verbes:
mode, temps, personne |
|
J'ai vérifié les constructions
prépositionnelles et les contractions
(du, au, des) |
STYLE
|
Le
niveau de langue (soutenu, normal
ou familier) est approprié au type textuel
choisi ou imposé. |
|
J'évite
la voix passive, que je remplace par la voix
active (par exemple en utilisant «on»). |
|
J'emploie
quelques figures de style comme la
métaphore, la litote, l'antithèse, le
chiasme, etc. |
|
|