I.
Qu'est-ce que l'explication de texte?
C'est la présentation, orale
ou écrite, d'un texte assez court, qui constitue la forme la
plus élémentaire de l'herméneutique (la science
de l'interprétation des textes). «Expliquer», c'est
avant tout montrer que vous avez saisi les éléments
de base qui donnent un sens au texte, tant sur le plan de l'expression
que sur celui du contenu. Cet exercice ne consiste donc pas à
donner des opinions, des sentiments ou des jugements; il faut argumenter
tout ce que l'on affirme, soit à l'aide d'exemples tirés
du passage lui-même, soit en référence à
des connaissances extérieures (sur l'auteur, le genre, l'époque,
le reste de l'œuvre, etc.).
L'explication est comme la visite guidée
d'un site ou d'un monument; vous devez accompagner le lecteur, lui
signaler les points d'intérêt, et fournir quelques éclaircissements
qui améliorent sa compréhension de ce qu'il lit.
II. Quelle est sa structure?
Comme tout écrit académique,
l'explication doit être très rigoureusement structurée:
il faut donc avant tout définir un plan, dont
les trois grandes parties indispensables sont l'introduction, le developpement
et la conclusion. Une explication suit généralement
le texte tel qu'il se présente, parfois ligne par ligne ou
mot à mot, ou bien traite deux ou trois des thèmes principaux
(commentaire composé); la méthode dépend de la
forme du texte lui-même, à moins qu’elle ne soit
imposée.
1) L'Introduction a pour but de situer le passage,
d'en indiquer la teneur, et de le résumer brièvement
(sauf s'il s'agit d'un poème). Le tout ne peut en aucun cas
représenter plus de 15% de votre travail. L'introduction
doit s'élaborer en dernier, lorsque vous savez exactement
ce qui doit suivre.
2) Le Développement doit être organisé
de façon logique: par thèmes (commentaire composé)
ou selon l'ordre du texte (explication). Les différentes
parties doivent être liées, également de façon
logique; votre propos doit aller clairement d'argument en argument,
étant soigneusement structuré grâce à
des transitions bien signalées à l'aide de marqueurs
textuels: conjonctions de coordination (mais, donc, or) ou de subordination
(même si, bien que, tandis que), ou encore d'adverbes ou de
locutions adverbiales (en revanche, en outre, néanmoins),
etc.
Les citations doivent être courtes (une phrase au maximum)
et utilisées à propos pour illustrer un argument—et
non pas seulement pour rappeler ce que l'auteur a dit.
3) La Conclusion résume et synthétise—sans
simplement le répéter—ce que vous avez dit,
en y ajoutant un point de vue global sur le sens ou la valeur du
passage. C'est un élément important du devoir, qui
doit laisser au lecteur l'impression que vous venez de présenter
des arguments convaincants.
III.
Dix points essentiels à retenir
1) L'organisation du devoir est primordiale. Il faut absolument éviter
la fragmentation, qui donne l'impression que vous faites un peu au
hasard une suite de remarques sans lien entre elles. Avant de commencer
à rédiger, faites un plan, une structure où les
articulations figurent clairement.
2) Ce que vous dites doit être pertinent. Inutile de rappeler
au lecteur ce qui est manifeste (titre du passage, nom de l'auteur),
ou de paraphraser le texte (c'est-à-dire reformuler ce que
dit l'auteur), sauf si cela est nécessaire: pour souligner
un argument, par exemple, ou pour éclaircir le sens d’une
formule peu claire, d’une phrase ambiguë.
3) Ne mélangez pas les niveaux d’existence: le monde
réel (le vôtre et celui de l'auteur) et l'univers fictionnel
du texte doivent rester distincts. Ne parlez pas de l'auteur, du narrateur
et des personnages comme s’ils étaient tous des êtres
vivants, même lorsqu'il y a d'évidents parallèles
entre le réel et la fiction.
4) Ecrivez ou parlez au présent pour parler des actes des personnages
(«Candide commence à douter»), ou de l'auteur («Voltaire
critique l'Eglise») et au passé composé ou à
l'imparfait pour marquer l'antériorité par rapport au
présent du texte («Candide, qui écoutait, a été
arrêté»). Cela demande parfois de transposer les
temps utilisés dans le texte, en particulier le passé
simple.
5) Ne vous répétez pas. Si vous ressentez le besoin
de répéter un même argument ou une même
idée sans y ajouter quoi que ce soit (même sous une forme
différente), revoyez votre structure.
6) Donnez une direction à votre devoir. Le lecteur doit se
sentir guidé, d'une partie à l'autre, sans devoir faire
d'effort pour comprendre où il va et où vous allez.
Il ne doit jamais se demander «pourquoi me dit-on ceci maintenant?»
7) Vos remarques et arguments doivent avoir de la substance. Evitez
la tautologie, où l'explication est identique à ce qu’elle
prétend expliquer («Ce passage est important parce qu'il
est essentiel»), et l'explication pour elle-même, qui
tombe à plat («Ici, l'automne représente la dépression»
— Oui, certes, mais dans quel but?). Evitez de redire ce que
dit l'auteur (le lecteur a le texte en mémoire ou devant les
yeux), si vous n'ajoutez pas dans la même phrase un commentaire
quelconque qui en explicite le sens.
8) Toute remarque sur la forme doit faire partie d'un argument sur
le fond. Inutile de signaler que l'auteur utilise certaines figures
(métaphore, métonymie, apostrophe) ou certains éléments
de versification (le sonnet, l'alexandrin, les rimes embrassées)
si vous n'expliquez pas le sens, le but ou l’effet de ces pratiques.
9) Relisez et récrivez votre texte plusieurs fois. Le niveau
de rigueur nécessaire pour composer une bonne explication implique
toujours l’élaboration d'un plan, et presque toujours
la rédaction de plusieurs versions au brouillon.
10) Présentez votre devoir clairement, avec des marges à
droite et à gauche et en sautant des lignes. Faites des paragraphes
avec des alinéas. Si vous faites référence à
une source autre que le texte expliqué, indiquez les renseignements
utiles entre parenthèses, après la référence:
nom complet de l’auteur, date et lieu de publication, éditeur,
page(s). Pour les citations subséquentes d’une même
source, le nom de famille de l’auteur et un numéro de
page suffisent. Les titres de livres sont soit soulignés, soit
mis en italiques; les titres de poèmes, de chapitres, d'articles,
etc. sont mis entre guillemets. Notez que, dans une anthologie, le
titre d'un passage peut avoir été donné par l'éditeur,
et non l'auteur; le cas échéant, ne l'utilisez pas comme
s'il s'agissait d'un titre original.
IV. Appendice: modèle d'explication
Ce modèle a été rédigé spécialement
pour vous aider à mieux comprendre ce à quoi peut ressembler
une explication de texte. Vous trouverez également le texte
complet du chapitre VI de Candide ou l'optimisme de Voltaire,
qui est expliqué ici.
[Partie
à venir]
|
Voltaire,
Candide ou l'optimisme.
Candide, jeune homme bon et naïf,
mène une vie heureuse en Allemagne dans le château d'un
baron. Ce dernier l'ayant découvert en compagnie de sa fille
Cunégonde, dans une situation compromettante, il est chassé
et mène une vie aventureuse à travers l'Europe. Enrôlé
de force dans l'armée Bulgare, il s'échappe et retrouve
son ancien professeur de Philosopie, Pangloss, au Portugal, au moment
où un fort tremblement de terre secoue le pays.
CHAP.
VI. — Comment on fit un bel auto-da-fé pour empêcher
les tremblements de terre, et comment Candide fut fessé.
Après le tremblement de terre
qui avait détruit les trois quarts de Lisbonne, les sages du
pays n’avaient pas trouvé un moyen plus efficace pour
prévenir une ruine totale que de donner au peuple un bel auto-da-fé;
il était décidé par l’université
de Coïmbre que le spectacle de quelques personnes brûlées
à petit feu, en grande cérémonie, est un secret
infaillible pour empêcher la terre de trembler.
On avait en conséquence saisi un Biscayen convaincu d’avoir
épousé sa commère, et deux Portugais qui en mangeant
un poulet en avaient arraché le lard: on vint lier après
le dîner le docteur Pangloss et son disciple Candide, l’un
pour avoir parlé, et l’autre pour avoir écouté
avec un air d’approbation: tous deux furent menés séparément
dans des appartements d’une extrême fraîcheur, dans
lesquels on n’était jamais incommodé du soleil;
huit jours après ils furent tous deux revêtus d’un
san-benito, et on orna leurs têtes de mitres de papier: la mitre
et le san-benito de Candide étaient peints de flammes renversées
et de diables qui n’avaient ni queues ni griffes; mais les diables
de Pangloss portaient griffes et queues, et les flammes étaient
droites. Ils marchèrent en procession ainsi vêtus, et
entendirent un sermon très pathétique, suivi d’une
belle musique en faux-bourdon. Candide fut fessé en cadence,
pendant qu’on chantait; le Biscayen et les deux hommes qui n’avaient
point voulu manger de lard furent brûlés, et Pangloss
fut pendu, quoique ce ne soit pas la coutume. Le même jour la
terre trembla de nouveau avec un fracas épouvantable.
Candide, épouvanté, interdit,
éperdu, tout sanglant, tout palpitant, se disait à lui-même:
«Si c’est ici le meilleur des mondes possibles, que sont
donc les autres? Passe encore si je n’étais que fessé,
je l’ai été chez les Bulgares. Mais, ô mon
cher Pangloss! le plus grand des philosophes, faut-il vous avoir vu
pendre sans que je sache pourquoi! Ô mon cher anabaptiste, le
meilleur des hommes, faut-il que vous ayez été noyé
dans le port! Ô Mlle Cunégonde! la perle des filles,
faut-il qu’on vous ait fendu le ventre!»
Il s’en retournait, se soutenant
à peine, prêché, fessé, absous et béni,
lorsqu’une vieille l’aborda et lui dit: «Mon fils,
prenez courage, suivez-moi.»
|