L'APPRENTISSAGE ET L'ENSEIGNEMENT DU VOCABULAIRE 

Dernière mise à jour: 28 octobre 2013
© 2013 Guy Spielmann

L'enseignement et l'apprentissage du vocabulaire focalisent souvent une grande partie de l'activité d'un cours de débutants et mérite donc une attention particulière, selon trois axes de questionnement:

  • Qu'est-ce que «le vocabulaire»?
  • Que veut-on dire exactement par «connaître du vocabulaire»?
  • Qu'est ce que le sens d'un mot?

Ce n'est qu'après avoir apporté des réponses solides à ces interrogations qu'on pourra commencer à tirer des conclusions quant aux meilleures orientations didactiques.

I. Qu'est-ce que «le vocabulaire»?

A) Vocabulaire et lexique
     Le terme de vocabulaire désigne un ensemble de mots relatifs à un contexte particulier, et s'oppose ainsi au lexique, ensemble de tous les mots théoriquement disponibles au locuteur d'une langue donnée. On parlera ainsi de «vocabulaire de la philosophie», «vocabulaire de la métallurgie», «vocabulaire des joueurs de tennis», etc. Ainsi, un locuteur particulier peut connaître et faire usage de plusieurs vocabulaires, mais nul ne maîtrise le lexique dans son entièreté.

B) Variabilité du vocabulaire
     
Les limites du lexique, ainsi que celles des divers vocabulaires, restent floues en raison

1. d'une évolution constante de la langue: certains mots apparaissent, d'autres disparaissent, d'autres encore changent de sens ou se marginalisent (ils deviennent spécialisés, archaïques…);

2. des critères d'inclusion/exclusion qui varient selon les modalités de choix: il faut généralement un ou deux ans avant que les mots nouvellement apparus dans l'usage ne fassent leur entrée dans un dictionnaire de référence (comme Le Robert), plus longtemps encore avant qu'ils ne soient officiellement entérinés dans les prescriptions ministérielles, ou avant d'être éventuellement agréés par l'Académie française (beaucoup ne le sont jamais). Hormis ces «avis autorisés», les opinions peuvent varier quant à la nature et au sens des mots d'un vocabulaire donné.

C) Variabilité de la connaissance et de l'usage d'un vocabulaire
     
La maîtrise d'un vocabulaire donné par un individu donné n'est jamais uniforme, et l'on pourra au moins distinguer

1. Un vocabulaire commun d'usage, mis en oeuvre par tous les locuteurs avec une fréquence élevée dans leur production orale et écrite;

2. Un
vocabulaire commun de reconnaissance connu de tous les locuteurs, mais qui n'est pas activement utilisé de manière fréquente par tous;

3. Un
vocabulaire personnel (ou «idiolecte»), c'est-à-dire un stock de mots et d'expressions utilisés avec un fréquence élevée par un locuteur donné en fonction de ses goûts, de ses besoins et de son appartenance à tel ou tel goupe social ou professionnel. On y trouvera éventuellement des mots marginaux, absents ou employés avec un sens substantiellement différent chez d'autres locuteurs.

4. On ajoutera à ces trois catégories les vocabulaires usités par des groupes sociaux (ou «sociolectes»), professionnels («jargons»), ou encore les vocabulaires régionaux, ceux des patois et des dialectes, où l'individu puise plus ou moins sélectivement.

 

D) Variabilité de niveau (registre)
     Enfin, le vocabulaire peut refléter les variations de niveau de langue : niveau soutenu, normal (ou standard), et familier (et, éventuellement, vulgaire). Dans le cas du français, il existe également d'importantes différences entre la langue écrite et parlée qui s'étendent au vocabulaire.

E) Conclusions préliminaires : quel « français standard »?
     « Le vocabulaire », singulier et homogène est une illusion.
     Les multiples divisions décrites ci-dessus ne suffisent pas à catégoriser formellement et exclusivement tous les mots d'une langue, puisqu'un même mot appartient généralement à plusieurs catégories, et que l'usage qui en est fait peut encore varier d'un locuteur à l'autre. Ce qu'on appelle argot, par exemple, est à l'origine un sociolecte propre à la pègre, à la limite du jargon (si l'on veut bien considérer la délinquance comme un métier...); certains de ses termes, passés dans l'usage courant, ont perdu leur valeur sociolectale pour entrer dans le niveau familier (ou vulgaire) du vocabulaire commun d'usage ou de reconnaissance. L'argot s'est donc généralisé du point de vue de l'usage, mais en se spécialisant du point de vue du registre.

      
Enfin, chaque locuteur ne jouit pas de la même amplitude lexicale: beaucoup de francophones, par exemple, maîtrisent mal le niveau soutenu, et ne sont vraiment à l'aise que dans un sociolecte unique, celui de leur milieu d'extraction, qui généralement reflète une variante régionale d'autant plus marquée que le niveau socio-culturel du locuteur est bas.
     Ainsi, le vocabulaire du « français standard » — que l'on veut enseigner dans les cours de FLE et de FLS — se définit principalement en négatif comme n'appartenant à aucun sociolecte particulier ; il est donc soit totalement artificiel, soit en réalité assimilé au sociolecte des classes moyennes urbaines éduquées.

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II. Que veut dire exactement « Connaître du vocabulaire »?

A) «Connaître un mot» renvoie en fait à des réalités diverses, qui peuvent s'ajouter et se recouper:

  • comprendre le(s) sens du mot
  • reconnaître ce mot lorsqu'il est utilisé (à l'oral ou à l'écrit)
  • savoir prononcer correctement le mot
  • savoir orthographier le mot
  • savoir utiliser à propos le mot en contexte
  • savoir la/les définitions du mot (sa dénotation --- sens et acceptions, voir ci-dessous)
  • savoir exprimer cette/ces définition(s)
  • savoir éventuellement la/les connotation(s) du mot
  • avoir mémorisé le mot et sa/ses définition(s) et sa/ses connotation(s)

Idéalement, le locuteur devrait démontrer toutes les compétences ci-dessus pour qu'on puisse dire qu'il/elle «connaît » vraiment un mot. En réalité, cette connaissance reste souvent partielle, et une grande partie du lexique n'est activée qu'en reconnaissance (vocabulaire dit « passif »).
Par ailleurs, très peu de locuteurs sont capables de donner une définition précise et complète (à la façon d'un dictionnaire) des mots qu'ils utilisent couramment. Ce type de connaissance n'est indispensable que dans des usages spécialisés (discours professionnel par exemple).
Il n'est pas nécessaire d'avoir déjà vu ou entendu un mot pour le comprendre, puisque la compétence linguistique comprend la capacité à extrapoler l'existence de mots inconnus selon les règles de génération lexicale propre à chaque langue. Ainsi, connaître le substantif « la danse » suffit à prédire l'existence de « danseur/euse », du verbe « danser », de l'adjectif « dansable » (et même « indansable »). On pourrait donc ajouter que connaître du vocabulaire, c'est aussi pouvoir supposer avec une certaine précision l'existence de mots encore inconnus, ou bien reconnaître un mot lors de sa première occurrence: si je possède déjà les mots « lecteur » et «patron», ainsi que le suffixe substantivant « -at », je vais comprendre immédiatement « lectorat » et « patronnat » sans les avoir jamais vus ni entendus.

B) L'acquisition du vocabulaire a son outil aux usages multiples, le dictionnaire, qui sert à

  • vérifier l'orthographe d'un mot déjà connu
  • vérifier la définition d'un mot déjà connu, mais dont on est pas certain du sens exact
  • apprendre la définition d'un mot inconnu
  • vérifier la présence effective dans le lexique d'un mot dont on suppose l'existence
  • élargir le champ notionnel d'un mot déjà connu, mais dont on ne possède qu'une partie des sens ou des acceptions possibles
  • trouver un synonyme, un antonyme d'un mot connu
  • apprendre des mots nouveaux à partir de mots connus

On voit donc que la connaissance lexicale peut et doit se concevoir de manière dynamique et graduée : dynamique, puisque le savoir est constamment en construction, et graduée puisqu'il existe de nombreuses étapes entre ignorer un mot tout à fait, et le connaître «à fond».

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III. Qu'est-ce que le sens d'un mot?

A) Le sens d'un mot s'établit à trois niveaux: dénotatif, connotatif et pragmatique

dénotatif : c'est la définition qu'on trouve dans le dictionnaire, qui peut se diviser en plusieurs sens (par ex. «suivre» = «se placer après» et «se conformer à» — on parle alors de polysémie), qui eux mêmes peuvent se subdiviser en plusieurs acceptions (variantes d'un même sens: par ex., «suivre la mode», et «suivre les directives ministérielles»).

connotatif : certains mots possèdent un ou plusieurs sens qui ne figurent pas dans leur définition, mais qui sont sanctionnés par l'usage dans une communauté culturelle donnée. Ainsi, l'utilisation de l'adjectif « national » par des mouvements politiques d'extrême-droite a provoqué l'apparition d'une connotation attachée à ce mot — qui devient péjorative dans le discours des opposants de l'extrême-droite. De même, le vocable de « travailleurs immigrés » se charge de diverses connotations selon qu'on stigmatise la présence de ces personnes sur le territoire français, ou au contraire qu'on se solidarise avec eux et qu'on cherche à défendre leur droits.

pragmatique: c'est la signification qu'un mot prend dans un contexte donné, au-delà des sens et des acceptions qu'il possède en propre.

B) Le sens d'un mot est toujours relationnel, c'est-à-dire qu'il s'établit contrastivement en fonction du sens d'autres mots dans une même langue. De plus, en linguistique, on considère qu'un mot se compose de morphèmes, ou unités minimales porteuses de sens dans la chaîne parlée, qui sont elles-mêmes analysables en un certain nombres d'éléments minimaux de sens non réalisés, les sèmes (ou sémèmes). Ces divisions sont propres à chaque langue, ce qui explique la difficulté — ou même l'impossibilité fondamentale — de la traduction.
     En effet, proposer une équivalence simple de terme à terme (par exemple, « boîte » = box) suppose que ces deux mots ont exactement la même valeur sémantique, les mêmes sens, les mêmes acceptions — ce qui arrive très rarement, même dans le cas de langues relativement proches comme le français et l'anglais. Par exemple, l'équivalence <« boîte » = box> marche bien dans une formule comme « boîte de biscuits » = box of cookies, mais pas du tout pour « boîte de nuit », ou « j'ai dix ans de boîte » puisque les autre sens du mot « boîte » ne correspondent à aucun des sens du mot box. Les choses se compliquent encore si l'on considère les dérivés comme « emboîtement », le verbe «emboîter» (comme dans «emboîter le pas») et les expressions idiomatiques (« mettre (qqun) en boîte ») dont les équivalents en anglais ne sont pas dérivés de box, alors que, dans l'autre sens, mots et expressions dérivés de box (boxy, think outside of the box) ne seront pas rendus en français par des mots et des expressions dérivés de « boîte ».

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IV. Implications didactiques

L'enseignement du vocabulaire doit avant tout respecter les réalités linguistiques signalées ci dessus. Il est donc impératif de

  • distinguer le vocabulaire de reconnaissance du vocabulaire d'usage, beaucoup plus restreint
  • favoriser chez l'apprenant la constitution d'un vocabulaire personnel
  • concevoir l'apprentissage de façon graduée et dynamique, avec notamment une phase d'exposition/comprehension, une phase d'usage guidé et une phase d'appropriation
  • présenter ou faire découvrir le vocabulaire à partir d'un contexte cohérent et réaliste
  • insister sur le caractère contextuel du sens
  • présenter ou faire découvrir le vocabulaire en réseau, selon des champs sémantiques (mots qui partagent un même élément de sens: ex, noter, écrire, rédiger, composer, griffoner....) ou des champs lexicaux (mots de la «même famille»: rédiger, rédacteur, rédaction), voire par association dans des champs notionnels ou thématiques (banque, argent, liquide, virer, compte). On pourra utiliser des schémas ou des diagrammes pour visualiser ces champs
  • enseigner et faire pratiquer aux apprenants des stratégies d'extrapolation pour prédire l'existence de mots inconnus à partir des règles génératives de la langue
  • enseigner et faire pratiquer aux apprenants des stratégies d'élucidation du vocabulaire à l'aide du dictionnaire ou d'autres outils ou documents
  • enseigner et faire pratiquer aux apprenants des stratégies de périphrase qui permettent non seulement de pallier l'ignorance de certains mots ou expressions, mais aussi d'enrichir son vocabulaire à travers la négociation avec les natifs
  • faire utiliser le dictionnaire selon toutes les possibilités qu'il offre (voir ci-dessus), et pas seulement pour vérifier le sens ou l'orthographe d'un mot

 Il faut absolument proscrire

  • l'utilisation du dictionnaire bilingue
  • le recours à la traduction pour élucider le sens des mots
  • le recours à la mémorisation systématique
  • l'enseignement et l'apprentissage du vocabulaire à partir de listes décontextualisées
  • l'enseignement et l'apprentissage de mots isolés et/ou hors de contexte
  • l'évaluation uniforme de la compétence lexicale (tous les élèves doivent maîtriser — mémoriser et activement utiliser — tous les mots «appris» en classe)
  • l'évaluation binaire de la maîtrise lexicale: un mot est soit « su », soit « non su », sans gradations possibles

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