L'IMMERSION
Stratégies de Survie
© copyright 2014 Guy Spielmann
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Qu'est-ce que l'immersion?
...et en quoi diffère-t-elle des «cours de langue» ordinaires?

    Apprendre une langue en immersion ne revient pas simplement à suivre des cours plus intenses que ceux d'un cursus traditionnel. Il est donc impératif, afin de tirer tous les bienfaits de cette expérience, de comprendre sa nature et de prendre conscience de certaines stratégies qui vous aideront à soutenir l'inévitable pression que vous subirez, même si vous possédez déjà un niveau avancé. Ce mini-guide vous indique l'essentiel à savoir pour ne pas «couler».

Comprendre quelles sont les conditions de l'immersion 


     L'immersion vous plonge complètement dans un milieu où vous ne pouvez pas fonctionner de la même manière que dans votre milieu d'origine. Il vous faudra donc trouver un mode de fonctionnement (culturel, communicatif, comportemental, linguistique) adapté à ce nouveau milieu, et plus ou moins différent de votre mode «natif». En d'autres termes, il faut apprendre à devenir une autre personne. L'apprentissage proprement linguistique ne constitue qu'une partie de cette transformation, et vous rencontrerez de (grandes) difficultés si vous tentez de continuer à fonctionner selon votre mode normal, mais dans une autre langue.

  • Lisez ici l'article (en anglais) de Spielmann and Radnofsky qui définit l'émergence d'une personnalité de langue seconde ("L2 persona"), "”Learning Language Under Tension: New Directions from a Qualitative Study.” The Modern Language Journal, 85, ii, (2001), p. 259-278.
L'immersion implique un fonctionnement
« en circuit fermé »
 


     L'immersion vous plonge
dans un système (culturel, communicatif et linguistique) obéissant à ses propres règles, qui généralement ne doivent rien aux règles d'autres systèmes. Votre but n'est donc pas de passer d'un système à un autre —de l'anglais au français, de la culture américaine à l'une des cultures francophones—mais de comprendre le système dans lequel vous évoluez en fonction de sa logique interne.
     Par exemple, le sens d'un mot français doit se saisir en fonction du sens des autres mots en usage dans cette langue, et non pas des possibles équivalents qu'on peut lui trouver en anglais. De même, les valeurs culturelles se comprennent en fonction d'autres valeurs qui leur sont contiguës, ou au contraire opposées; il ne faut jamais évaluer ces éléments selon une grille de lecture qui appartient à une autre culture. Ainsi, un Américain jugeant que «les Français sont sales» parce qu'ils ne se douchent pas au moins une fois par jour applique une axiologie 'sale vs. propre' qui ne vaut que dans la culture américaine; car si les Français possèdent aussi une telle axiologie 'sale vs. propre', ce n'est pas la même, puisque les termes 'sale' et 'propre' renvoient à des valeurs assez différentes.

L'immersion est communicative, et non pas linguistique


     Le terme souvent utilisé d'«immersion linguistique» (ou même de «bain linguistique») peut laisser croire que la maîtrise de la langue au sens strict est le facteur principal et premier de réussite. Or, ce qui relève du linguistique (disons, les mots et les phrases, les règles qui les régissent, la «grammaire») est en réalité subordonné au cadre beaucoup plus large de la communication. Ce cadre inclut entre autres:

  • à l'oral, des éléments suprasegmentaux, comme la prosodie et l'intonation
  • la proxémique (utilisation de l'espace), la kinétique (utilisation du mouvement), l'expressivité du visage (pour indiquer des états cognitifs ou affectifs)
  • des schèmes communicatifs (par ex. se saluer, demander qqch dans un magasin) où la composante linguistique peut être faible ou nulle
  • des types de situation communicative, qui expriment des conventions sociales souvent ritualisées (par exemple, pour la France, 'prendre l'apéro'; pour les U.S.A., «to go on a date»)

Apprendre à communiquer implique surtout de maîtriser ces composantes, qui peuvent parfois être assez proches de celles que vous pratiquez déjà, mais parfois aussi s'avèrent complètement différentes. En fait, les plus problématiques sont souvent celles qui partagent un certain nombre de similitudes d'une culture à une autre: les Américains et les Français sourient et s'embrassent dans le cadre de la vie sociale, mais ni le sourire ni le baiser (sous leurs formes diverses...) n'ont exactement la même valeur ou le même usage dans les deux cultures.

L'immersion est collective et interactive

     Être en immersion signifie forcément être entouré d'autres personnes avec qui il faut interagir (notion encore plus large que communiquer). Quoique l'apprentissage linguistique puisse sembler individuel, il ne se réalise pleinement que dans le collectif. L'erreur la plus fréquemment commise par les néophytes consiste à dissocier complètement l'apprentissage linguistique individuel et le cadre collectif. La présence d'autres personnes est un vecteur crucial d'apprentissage individuel, comme on le voit à un niveau très simple lorsqu'on se trouve confronté à un mot inconnu: seul, on épuise rapidement ses ressources et ses chances d'élucider le mot (à moins d'avoir un dictionnaire...); en revanche, on a de bien meilleures chances d'y arriver à plusieurs, non seulement en joignant les connaissances individuelles, mais aussi et surtout grâce à l'interaction et au «remue-méninges» qui permet de résoudre collectivement un problème que nul n'aurait pu résoudre individuellement.



Quelques stratégies indispensables...

Laissez-vous submerger pour pouvoir «flotter»


     La plupart des gens qui se noient auraient survécu s'ils s'étaient laissé flotter au lieu de se débattre. Ne «résistez» pas à l'immersion en faisant trop d'effort, laissez-vous porter. N'oublier pas que l'être humain est naturellement prédisposé à l'apprentissage communicatif, linguistique et culturel. Vous avez de bien meilleures chances d'apprendre et de vous trouver à l'aise si vous vous relaxez plutôt que de lutter. En particulier...

  • Pensez avant tout à communiquer, et pas à «produire du langage». Il est toujours possible—et parfois préférable!—de communiquer efficacement avec un minimum de mots.
  • Concevez la communication en termes de «tâche à accomplir». Focalisez-vous d'abord sur la fonction, ensuite sur la forme, et non le contraire. Si vous parvenez à accomplir la fonction, vous pourrez vous soucier du «comment»...
  • Approchez la communication de façon globale. Tentez de comprendre les messages avec tout ce qui les compose et les entoure (à l'oral comme à l'écrit), plutôt que de tenter de saisir des éléments isolés comme les mots: on peut très bien interpréter certains messages en ignorant la plupart des mots utilisés. Lorsque vous avez une idée générale du sens du message, vous pouvez toujours ensuite, si vous le désirez—et si vous en avez le temps!—vous attarder sur chacune de ses composantes... mais ne mettez pas la charrue avant les boeufs.
  • Faites des fautes, prenez des risques, puis corrigez-vous. La prise de risque calculée est l'un des facteurs les plus importants de développement de la compétence linguistique, en langue première ou seconde; faites attention lorsqu'on vous corrige, ou lorsqu'un natif reprend ou répète ce que vous avez dit/écrit sous une forme correcte. En revanche, si vous hésitez à vous exprimer (à l'oral ou à l'écrit) par peur de l'incorrection grammaticale ou lexicale, vous manquerez un grand nombre d'occasions de vous entraîner, de vous faire corriger, et donc de progresser—et surtout de vous sentir à l'aise dans la langue.
Apprenez à fonctionner en français uniquement

     En vous appuyant sur votre langue maternelle, vous ralentissez vos progrès en croyant progresser plus vite. Il faut donc le plus tôt possible fonctionner entièrement dans la langue cible. Ce qui signifie...

  • Ne cherchez pas à faire dans une langue exactement ce que vous faites dans l'autre. Les gens parfaitement bilingues et bi-culturels sont ceux qui disposent de deux modes de fonctionnement bien distincts. Leur ton de voix, leurs habitudes communicatives, leur personnalité même peut changer en fonction du «génie de la langue» autant que des schémas culturels propres à chaque société.
  • Forcez-vous à ne rien traduire d'une langue à l'autre, et à vous exprimer avec le matériau linguistique dont vous disposez. Si votre compétence en L2 n'est pas très avancée, il est tentant de vouloir recourir à la traduction pour exprimer des pensées complexes ou effectuer des tâches communicatives complexes qui demandes des ressources langagières que l'on ne maîtrise pas. Il faut au contraire s'efforcer de «passer du français au français» en utilisant au départ:
    — Les synonymes ou quasi synonymes
    — Les antonymes
    — Les définitions ou périphrases
    — Les exemples
    — Des structures simples et non idiomatiques
  • Utilisez l'interaction. Si vous utilisez un terme imprécis, si vous ne terminez pas une phrase, votre interlocuteur francophone risque de répliquer avec le terme précis, de terminer votre phrase. Écoutez, lisez attentivement les réponses, les répliques à ce que vous dites ou écrivez, vous enrichirez considérablement votre répertoire.
  • Tirez avantage d'outils à votre disposition. Le dictionnaire unilingue, les documents authentiques constituent des mines d'information qu'il faut exploiter méthodiquement.
  • Trouvez des modèles à imiter. Passer à une autre langue, à une autre culture, c'est—initialement—jouer un rôle. Soyez attentifs aux modèles que vous pouvez observer à l'écrit comme à l'oral; notez, réutilisez les expressions que vous avez lues et/ou entendues, imitez les mélodies intonatives des natifs, leurs gestes, comme si vous deviez interpréter leur rôle.
Sur-communiquez!


     Seule une pratique régulière de la communication vous permettra de vous sentir à l'aise. Forcez-vous donc à communiquer à l'oral et à l'écrit plus que vous ne le feriez normalement. Saisissez toutes les occasions de mettre en pratique ce que vous avez appris, d'essayer des formules dont vous n'êtes pas sûr, d'entendre et de lire du francais même dans des circonstances qui ne vous sont pas habituelles. Au départ, et jusqu'à ce que vous ayez atteint un niveau de compétence avancé, l'intensité de votre contact avec la langue-cible est absolument déterminante.

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