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L'«Ancien Régime » (1589-1792)

     Le terme d'« Ancien Régime » apparaît lors de la Révolution pour désigner rétrospectivement tout ce qui précède l'établissement de la république en 1792. Globalement, il signifie donc le système monarchique qui, en théorie, existe depuis 987 et la fondation du royaume de France par Hughes Capet (voir la chronologie)
     En fait, on l'emploie surtout pour la dernière phase de la monarchie, c'est-à-dire la dynastie des Bourbon, qui commence avec l'avènement d'Henri IV en 1589, et se termine en 1792 avec la proclamation de la république. Cette phase se caractérise par:
     Le développement de la « monarchie absolue », autrement dit de la restriction du pouvoir exécutif au roi lui-même et à un premier ministre, ou éventuellement à un groupe très restreint de ministres, tandis que le rôle des parlements en matière législative est minimisée, voire réduit à néant. En 1614, on réunit encore les États Généraux, assemblée relativement représentative de la nation toute entière; cela n'arrivera plus jusqu'en 1789.
      La réduction du pouvoir de la noblesse, en particulier des « grands nobles », parfois très proches de la famille royale (comme les Condé) et qui estiment devoir participer au gouvernement du royaume, voire contester l'autorité du roi. Ainsi le Prince de Condé, héros militaire national dans les années 1630, puis rebelle lors de la Fronde dans les années 1648-1652, devra-t-il finalement multiplier les gages de fidélité (pour ne pas dire de servilité) envers Louis XIV pour retrouver un statut digne de lui au sein de l'État—voir l'épisode fameux de la fête de Chantilly en 1671.
    La réduction du pouvoir des parlements, notamment celui de Paris, qui disposait d'un droit de regard sur les édits et les lois promulgués par le pouvoir royal. Cette prérogative lui sera progressivement retirée, après avoir été réduite à un seul droit de
critique (de « remontrance »), même si, à la mort de Louis XIV, les parlementaires se vengèrent en annulant son testament (qui, entre autres dispositions, légitimait les enfants bâtards du feu roi, ce qui leur ouvrait la voie à une possible succession).
    Le développement d'une vie de cour brillante, mais qui transforme peu à peu les nobles en figurants forcés de graviter en permancence autour du roi pour obtenir faveurs et gratifications. Tandis que leur pouvoir politique se trouve progressivement rongé, des roturiers méritants accèdent au plus hautes fonctions et fondent des dynasties (grâce à la loi dite de la « Paulette » qui depuis 1604 rend les charges publiques vénales héréditaires), ce qui crée une « noblesse d'État » supplantant la noblesse d'épée, laquelle ne conserve guère que son prestige social. L'inégalité radicale fondée sur le privilège, qui dépend de la seule naissance et ne concerne que 2% de la population.
     Un dysfonctionnement financier chronique. Dès lors qu'on s'avise de mettre en place un budget de l'État—œuvre de Colbert à partir de 1661—on se rend compte de l'existance d'un déficit énorme qu'aucune mesure ne parviendra jamais à combler. Si Louis XVI finit par convoquer les États Généraux en 1789, c'est que la situation financière du pays est parvenue à un seuil critique : le roi n'a tout simplement plus les moyens de faire fonctionner les institutions de l'État. Pendant deux siècles, les mesures de bon sens proposées par les ministres, de Colbert à Necker, ne furent pas appliquées en raison d'intérêts particuliers et de l'attachement rigide à des principes qui ne correspondaient plus aux réalités économiques.

Brève chronologie de l'Ancien Régime

1589-1610: Règne de Henri IV, avec Maximilien de Sully comme « surintendant des Finances » et principal ministre. Redressement économique du royaume après les guerres de religion et politique de tolérance envers les protestants, concrétisée par l'Édit de Nantes (1598).
1610-1614: Régence de la reine Marie de Medicis
1614-1643: Règne de Louis XIII, avec Armand du Plessis, duc et cardinal de Richelieu comme principal ministre entre 1624 et 1643. Richelieu apparaît comme la personnalité dominante face à un roi très effacé. C'est lui qui mène la guerre contre les Protestants, en rebellion ouverte entre 1622 et 1629, et qui fonde l'Académie Française en 1635.
1643-1651: Régence d'Anne d'Autriche, reine-mère. Période très difficile pour la monarchie en raison de la rébellion des grands nobles, et du parlement de Paris (la « Fronde »), tandis que le jeune Louis Dieudonné est trop jeune pour régner.
1651-1715: Règne de Louis XIV. D'abord sous la tutelle du Cardinal Jules Mazarin, premier ministre désigné par Richelieu, le règne prend une tournure inédite après la mort de celui-ci et la « prise de pouvoir » du roi en 1661, qui décide qu'il gouvernera sans premier ministre. Cependant, il s'attache les services de Jean-Baptiste Colbert, issu d'un milieu bourgeois, et qui deviendra une sorte de super-ministre aux responsabilités multiples après l'élimination de Nicolas Fouquet (1664), surintendant des Finances qu'on soupçonne de s'être enrichi en pillant les caisses de l'État grâce à divers traffics.
1715-1723: Régence de Philippe d'Orléans. Bref interrègne marqué par le retour en force des nobles au gouvernement (système de la « polysynodie »), la speculation effrénée—qui culmine en 1720 dans la « banqueroute de Law », c'est-à-dire l'effondrement (le « krach ») du système de papier-monnaie mis en place par l'affairiste écossais John Law—et un notable relâchement des mœurs.
1715-1774: Règne de Louis XV, commencé sous les meilleurs auspices—le roi est surnommé « Louis le Bien Aimé »—et qui se révèlera calamiteux, avec notamment la guerre de Sept Ans perdue face à l'Angleterre, à qui sont cédés un grand nombre de colonies (Amérique du nord et Inde notamment) par le traité de Paris en 1763. Ministères successifs de Fleury (1723-58), Choiseul (1758-70) et Maupeou; la crise économique et sociale empire considérablement, sans issue évidente.
1774-1792: règne de Louis XVI. Timide et renfermé, il n'a pas l'étoffe d'un grand homme d'État, alors qu'il hérite d'une situation budgétaire catastrophique. Le soutien apporté aux insurgents américains contre l'Angleterre, s'il permet la naissance des États-Unis (1776), achève de ruiner un royaume qui ne peut plus se financer. À cours de solution, on convoque les États-Généraux (mai 1789), où les députés du Tiers-État (les non-privilégiés), majoritaires, exigent un changement de régime vers une monarchie constitutionnelle. Louis XVI feint d'abord de collaborer, mais, devant la tournure des événements, il prévoit de quitter la France et d'en reprendre le contrôle militairement avec l'appui d'autres monarchies Européennes, dont la maison d'Autriche, celle de sa femme Marie-Antoinette. Arrêté alors qu'il tente de quitter le territoire, puis déposé le 10/8/92, il est jugé pour haute trahison, condamné et exécuté le 21/1/93.