LA GRAMMAIRE

Dernière mise à jour: 31 août 2024
© 2024 Guy Spielmann

 

Qu'est-ce que la grammaire ?

     La grammaire est une source de préoccupation—et même souvent d'anxiété—chez les locuteurs natifs autant que chez les apprenant.e.s de FLE, sans doute parce qu'elle constitue une véritable obsession pour beaucoup d'enseignants. Dans l'ensemble, la grammaire est très mal comprise: certains s'imaginent que c'est une matière mystérieuse et profondément complexe ; d'autres pensent que c'est l'alpha et l'oméga de la compétence communicative et que tout cursus de langue doit forcément se fonder sur une phase initiale où, pendant des mois, voire des années entière, on « apprend la grammaire » (et du vocabulaire) avant de pouvoir l'appliquer à des situations de communication authentiques (ce qui est frustrant et entipédagogique). À l'opposé,
certains partisans des approches « communicatives » ont parfois voulu s'en débarrasser (ce qui est absurde et démagogique). Ces divers positionnements reflètent une méconnaissance profonde de ce qu'est la grammaire; de ses limites et de sa véritable importance, et partant de la meilleure manière de l'aborder. Il faut donc avant tout commence par se demander « Qu'est-ce exactement que "la grammaire" ? » en mettant de côté les présupposés et les fausses évidences.
     Quiconque apprend une langue — comme langue maternelle ou seconde — acquiert inévitablement une certaine compétence grammaticale, sans même en avoir conscience. Une langue est gouvernée par diverses sortes de principes qu'il faut maîtriser dans une certaine mesure afin de pouvoir communiquer, car aucune tâche langagière, même très simple, ne peut être accomplie sans connaissance de ces
principes, fût-elle implicite. Le fait est que la plupart des locuteurs natifs d'une langue donnée n'atteint jamais vraiment une maîtrise avancée de sa grammaire : même les gens éduqués qui en connaissent les principales règles et les appliquent systématiquement avec succès seraient bien incapables de les expliquer. L'édition très florissante de livres prétendant aider le locuteur moyen à améliorer ses performances démontre que la grammaire française reste perçue comme un obstacle à surmonter, un défi à relever ou un problème à résoudre.
Le vrai problème, c'est la confusion persistante quant à la nature exacte de « la grammaire », qui peut renvoyer à

1) un ensemble de lois qui rendent compte du fonctionnement du langage en général — auquel cas elle est virtuellement synonyme de « la linguistique » ;
2) un ensemble beaucoup plus restreint de lois qui qui rendent compte de la morphologie d'une langue particulière — la manière dont les unités linguistiques sont formées et modifiées — et de sa syntaxe — l'agencement de ces unités linguistiques dans la chaîne parlée.
3) un ensemble de règles et de préceptes sur la manière de générer des formes « correctes » (voir la rubrique « Dire / Ne pas dire » sur le site de l'Académie française au http://www.academie-francaise.fr/dire-ne-pas-dire.) C'est ce qu'on appelle la « grammaire traditionnelle », qui prescrit sans expliquer, et qui procède en énonçant des « règles », puis inévitablement des
exceptions à ces règles, voire des exceptions aux exceptions—ce qui est absurde du point de vue de la linguistique, qui cherche à énoncer des lois qui, par définition, n'ont pas d'exception (c'est le principe d'une démarche scientifique).

Au cours de l'acquisition naturelle de la langue maternelle, la maîtrise grammaticale se limite initialement à la reconnaissance et la compréhension (pendant deux ans environ), avant de déboucher sur la production et, éventuellement, sur la capaciér d'analyser et d'expliquer les principes grammaticaux.
     Les théories didactiques n'ont pas toujours pris en compte cette progression inductive — c'est le moins qu'on puisse dire : les méthodes « traditionelles » d'enseignement des langues suivent au contraire une progression déductive qui commence par formuler des règles que les étudiants doivent apprendre telles quelles, puis « appliquer » dans des exercices, avant de progresser vers une expression toujours plus divergente. Depuis la fin des années 1970, les approches « fonctionelles » et « communicatives » se sont efforcées de changer le statut de la grammaire, parfois en en proscrivant l'enseignement explicite, ou bien en respectant le processus naturel d'acquisition où la formulation des règles intervient après la reconnaissance et la compréhension.
     Malheureusement, la question du rôle exact de la grammaire dans l'enseignement des langues n'a que rarement été abordée de façon satisfaisante. Les méthodes actuelles — y compris les approches « communicatives » et « actionnelles » — reposent encore trop sur une conception traditionnelle, c'est-à-dire prescriptive (sinon toujours normative) de la grammaire, même lorsqu'elles veulent reléguer celle-ci au second plan, ou la présenter sur le mode inductif. Toutefois, une telle grammaire ne reflète pas forcément une vision cohérente et scientifique du fonctionnement de la langue : les règles, qui admettent de nombreuses exceptions, ne sont guère que des prescriptions ad hoc qui n'expliquent pas les mécanismes linguistiques, et s'attachent à la correction plutôt qu'à l'expressivité. Même les enseignants qui consacrent beaucoup de temps et d'énergie ne saisissent pas toujours bien comment le language fonctionne: ils enseignent les règles qu'ils ont apprises sans savoir ce qui les justifie et pourquoi il y a des exceptions, voire des exceptions aux exceptions.
     De plus, cette focalisation sur les règles et sur la correction néglige l'usage, c'est-à-dire l'application effective de ces règles par le locuteur natif moyen dans des contextes précis. L'usage, autrement dit la dimension empirique de la grammaire, contredit ou ignore certaines règles de la grammaire prescriptive, ou du moins en limite la portée : c'est par exemple le cas du subjonctif utilisé avec « après que », alors que cette conjonction exige — fort logiquement d'ailleurs — l'indicatif. Cette « grammaire des fautes » s'inscrit en creux dans le dispositif normatif que défendent en France l'Académie et, selon d'autres modalités, le Ministère de l'éducation.
     L'adoption d'une grammaire « scientifique », c'est-à-dire explicative et systématique, apparaît ainsi comme la condition sine qua non d'une démarche véritablement productive, pouvant éviter aux apprenants frustration et anxiété. Cette grammaire ne se contente pas d'énoncer des règles
à coup de termes soit cryptiques pour le commun des mortels, soit inexacts ; elle introduit des concepts qui permettent de comprendre comment une langue fonctionne, et cherche à révéler des principes parfois complexes mais qui ne relèvent pas d'une sorte de mystique que la grammaire traditionnelle se plaît à entretenir.

Échelle des principales compétences grammaticales en français

     La grammaire au sens strict offre un ensemble de principes qui gouvernent le fonctionnement de trois aspects d'une langue :

1. la syntaxe, la façon dont les mots sont agencés sur un axe linéaire (le discours), l'ordre dans lequel ils peuvent se succéder
2. la morphologie, la façon dont les mots sont formés, et modifiés (accords, conjugaisons, déclinaisons dans certaines langues, variantes libres ou contextuelles)
3. la sémantique, les éléments de sens présents dans les mots, qui déterminent leur signification dénotative, mais aussi le rapport des mots entre eux

La gradation des principales compétences grammaticales en français écrit procède d'abord d'un ordre de complexité

1. des compétences de réception :
- La reconnaissance et la compréhension de formes langagières
2. des compétences de jugement :
- Jugements normatifs: capacité à distinguer entre le correct et l'incorrect
- Jugements d'usage: capacité à distinguer entre ce qui est possible et prescrit en principe, et ce qui est effectivement utilisé  par les locuteurs. 
- Jugements de niveau: capacité à distinguer entre le soutenu, le normal et le familier
- Jugements d'authenticité: capacité à distinguer entre les formes grammaticales (c'est-à-dire possibles, même lorsqu'elles sont incorrectes : «Si j'aurais su, j'aurais pas venu»—«solecisme») et agrammaticales (qu'un natif ne produirait jamais: «J'attends elle de partir demain»—«barbarisme»)
- Jugement sémantique: capacité à distinguer les nuances de sens exprimées par la variation de certains éléments morphologiques, syntaxiques ou autres. (Par exemple, différence entre « Je cherche un comptable qui soit trilingue  » et « Je cherche un comptable qui est
trilingue » ; entre « soupçonner » et « suspecter ».)
3. des compétences de production :
- La production dirigée (dans le cadre d'un exercice ou en réponse à une directive précise de l'enseignant.e, par exemple)
- La production autonome, soumise ou non à des contraintes génériques (expression libre, composition, essai, rédaction, dissertation)
4. des compétences métalinguistiques :
- La capacité d'identification terminologique (nommer les différentes composantes du discours à l'aide de termes techniques)
- La capacité d'explication (analyse logique des composantes de la phrase, commentaire linguistique, formulation des règles)

Ces compétencess concernent essentiellement la morphologie et la syntaxe, c'est-à-dire qu'elles se limitent au cadre de la phrase. Elles sont donc à distinguer des compétences discursive et textuelle (agencement des phrases, grammaire de texte), rhétorique (ou « stylistique »), ou encore lexicale (connaissance du vocabulaire), à évaluer séparément. Elles sont également à distinguer des compétences spécifiquement orales, qui procèdent d'une hiérarchisation différente, et admettent plus systématiquement l'usage du niveau familier. (Voir le schéma des compétences communicatives)
     On peut hiérarchiser ces compétences selon trois niveaux, élémentaire, moyen et avancé (qui, selon les circonstances, correspondront à des temps d'apprentissage plus ou moins longs, et à diverses divisions académiques et scolaires). Une telle hiérarchisation ne se fonde pas tant sur la « difficulté » intrinsèque des formes que sur leur fréquence et sur la distinction de niveau de langue entre normal et soutenu (les compétences de stade avancé relèvent presque complètement du niveau soutenu).
     L'apprentissage se conçoit donc comme une progression « en spirale » débutant par la reconnaissance / compréhension des formes au niveau élémentaire, et se terminant (si tant est qu'on puisse jamais le considérer comme « terminé ») par la capacité à expliquer les formes au niveau avancé.

Élémentaire
Moyen
Avancé

 

Morphologie I: formes verbales

Morphologie II: noms et adjectifs

Opérateurs grammaticaux I

Opérateurs grammaticaux II: Pronoms

Syntaxe - Structure des phrases