LA COMPÉTENCE COMMUNICATIVE
LES SITUATIONS D'UTILISATION

Dernière mise à jour: 16 août 2019
© 2019 Guy Spielmann
   
I. LA COMPÉTENCE COMMUNICATIVE

     La notion de «compétence communicative» est relativement récente dans l'enseignement des langues; on peut la faire remonter au travail de l'anthropologue américain Dell Hymes dans les années 1970, construit sur une critique du postulat de Chomsky 'compétence vs. performance'. [Dell H.Hymes, Vers la compétence de communication (On Communicative Competence, 1972), trad. France Mugler, Paris, Hatier/Didier, 1991.] Le grand problème des didacticiens des langues secondes a d'abord été d'élaborer une notion de compétence qui ne se ramène pas, sous une forme plus ou moins adaptée, à la compétence purement linguistique, c'est-à-dire en fait avec la mise en œuvre d'un certain lexique et l'application de règles morpho-syntaxiques et sémantiques (de « grammaire »). Au départ, en effet, la compétence s'est définie restrictivement comme la capacité à produire effectivement des énoncés corrects dans une langue donnée, par opposition à une connaissance théorique, avant d'intégrer d'autres types de capacités allant au-delà du cadre linguistique.
     Divers modèles ont été proposés, dont certains conservaient une hiérarchie où la compétence linguistique dominait les autres, ou bien qui ne distinguaient pas toujours clairement entre une fonctionnalité communicative et les matériaux linguistiques qui peuvent lui servir de support. De nouvelles théories de la communication ont considérablement relativisé l'importance du langage, en affirmant au contraire le rôle déterminant d'autres systèmes signifiants comme l'utilisation des gestes, de la distance, ou encore l'activation de schèmes communicatifs sanctionnés par telle ou telle culture.
     La compétence communicative, notion englobante, n'existe pas en tant que telle, mais en tant que somme d'éléments dynamiques en relation d'influence mutuelle et qui se recoupent. Le tableau ci-dessous offre une synthèse raisonnée et corrigée des divers modèles qui ont été élaborés.

La compétence sémiotique est la capacité à utiliser divers systèmes signifiants primaires, comme le geste ou l'espace, ainsi que les systèmes dérivés, comme le vêtement, les codes sociaux et professionnels, etc. Le langage, s'il figure au premier rang de ces systèmes de par sa souplesse et les possibilités combinatoires presque illimitées qu'il offre, n'est pourtant pas toujours le plus efficace. Si donc on lui réserve une place à part, on ne le place pas «au-dessus» des autres systèmes.
Au sein de ce domaine se situe la compétence
proprement linguistique, celle qui a traits aux divers aspects du langage (zone grisée), et, encore plus restrictivement la compétence « grammaticale » (matérialisée par le carré jaune), terme qui englobe la compétence syntaxique, morphologique, sémantique et, dans une certaine mesure, phonologique.

La compétence socio-culturelle consiste à exploiter sa connaissance de codes culturels et sociaux, linguistiques ou non. Elle inclut notamment la compétence référentielle qui est la connaissance de certains lieux, faits, personnages, symboles, produits, etc, partagée par une majorité des membres d'un groupe social.

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La compétence stratégique
est surtout la capacité à (bien) choisir et d'agencer les divers types de sous-compétences vers une efficacité maximum dans l'accomplissement d'une tâche donnée. Une précision importante qu'il convient d'apporter ici est que ce terme de «compétence communicative» au singulier est trompeur: nul n'est généralement compétent, ou au moins ne l'est de manière uniforme. On distinguera donc des degrés de compétence et surtout des situations bien définies.

II. LES SITUATIONS D'UTILISATION

    En termes pratiques, toute activité communicative correspond à une situation particulière d'utilisation. Il est donc guère de sens à prêcher l'enseignement « en contexte » par rapport à un enseignement traditionnel censément décontextualisé (cf. Alice Omaggio Hadley, Teaching Language in Context, 3rd ed., Boston, Heinle & Heinle, 2001). Par défaut, l'enseignement des langues en milieu scolaire et universitaire correspond à une situation de type académique, où l'utilisation du langage a pour seul but de satisfaire aux exigences du programme d'enseignement lui-même, même si les autres exigences font l'objet de simulations, plus ou moins réalistes, plus ou moins complexes. En effet, les apprenants restent bien conscients que les vrais enjeux restent académiques, par opposition à une personne en situation d'immersion fonctionnelle pour qui la réussite ou l'échec de telle ou telle tâche communicative a des repercutions concrètes sur la vie quotidienne autres qu'une note plus ou moins bonne à la fin du cours.
    On peut distinguer quatre grands types de situation d'utilisation que peuvent rencontrer les apprenants: outre la situation Académique, où c'est la compétence linguistique qui prédomine, on distinguera

— la situation de type Social, dont l'objectif principal est de former ou de cultiver des relations avec les autres. Dans ce cas, c'est la compétence socio-culturelle qui domine;


— la situation de type Pratique, dont l'objectif principal est d'accomplir une tâche précise, souvent concrète: passer le permis de conduire, louer un appartement, trouver et acheter un appareil ménager, etc. Dans ce cas, c'est la compétence stratégique qui domine;

— la situation de type Professionnel, dont l'objectif principal est de démontrer une certaine expertise (autre que purement manuelle) afin de mener à bien une tâche complexe.

Il n'existe pas de situation (ni de compétence) « générique », ni d'utilisation « hors de contexte »: même l'exercice de grammaire le plus mécanique se situe dans un contexte académique qui possède sa propre logique. Le vrai problème est ailleurs, dans la croyance erronée qu'un phénomène de transfert va s'opérer d'un type de situation à l'autre, et qu'à force de faire des exercices de vocabulaire et de grammaire l'apprenant va pouvoir fonctionner dans une situation autre qu'académique. Or, atteindre un niveau de compétence élevé dans une situation ne se traduit jamais automatiquement par un niveau de compétence également élevé dans un autre type de situation.



III. QUELQUES IMPLICATIONS DIDACTIQUES

     Elles sont nombreuses. Commençons évidemment par la nécessité de prendre en compte d'une manière ou d'une autre toutes les compétences indiquées ci-dessus dans le cours de langue, en se demandant si les activités qui sont proposées aux étudiants — et le cursus en général — les prépare réellement à communiquer, et dans quelle situation. On abandonnera notamment la notion d'une compétence générique illusoire pour tenter de définir des domaines de compétence restreints sur lesquels s'articulera le programme de cours. Et si le cours doit s'en tenir à une situation purement académique, comme c'est généralement le cas, il ne faut pas tenter de faire croire que les apprenants vont acquérir de réelles compétences dans le cadre social, pratique ou professionnel.
     On remarque qu'il n'existe pas de « compétence culturelle » à proprement parler, puisque toute communication est forcément culturelle, voire interculturelle. Faire comprendre aux apprenants la pensée, les comportements, les actes des membres d'un groupe en tant qu'objets de savoir — ce que fait « l'enseignement de la culture » traditionnel — relève de la compétence référentielle (comme la connaissance de l'histoire, de la géographie, des spécialités culinaires de telle ou telle région où la L2 est utilisée) mais on peut sérieusement douter que ce savoir débouche sur une activation en contexte appropriée, qui ne s'acquiert que par l'usage in vivo. Encore faudrait-il en plus distinguer cette acquisition de l'acculturation, qui se manifeste autant par la mise en application d'un savoir que par une adhésion de l'individu à certaines valeurs. La culture — système de valeurs partagée — étant surtout acquise inductivement par ceux qui la reçoivent en partage, le plus souvent sans qu'ils en soient conscients, on peut au contraire supposer que les apprenants devront eux aussi passer par l'expérience répétée avant d'intérioriser ces valeurs.

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