I.
LA COMPÉTENCE COMMUNICATIVE
La
notion de «compétence communicative» est
relativement récente dans l'enseignement des langues;
on peut la faire remonter au travail de l'anthropologue américain
Dell Hymes dans les années 1970, construit sur une
critique du postulat de Chomsky 'compétence vs. performance'.
[Dell
H.Hymes, Vers la compétence de communication
(On Communicative Competence, 1972), trad. France
Mugler, Paris, Hatier/Didier, 1991.] Le
grand problème des didacticiens des langues secondes
a d'abord été d'élaborer une notion de
compétence qui ne se ramène pas, sous une forme
plus ou moins adaptée, à la compétence
purement linguistique, c'est-à-dire en fait avec la
mise en œuvre d'un certain lexique
et l'application de règles morpho-syntaxiques
et sémantiques (de « grammaire »).
Au départ, en effet, la compétence s'est définie
restrictivement comme la capacité à produire
effectivement des énoncés corrects dans une
langue donnée, par opposition à une connaissance
théorique, avant d'intégrer d'autres types de
capacités allant au-delà du cadre linguistique.
Divers modèles ont été
proposés, dont certains conservaient une hiérarchie
où la compétence linguistique dominait les autres,
ou bien qui ne distinguaient pas toujours clairement entre
une fonctionnalité communicative et les matériaux
linguistiques qui peuvent lui servir de support. De nouvelles
théories de la communication ont considérablement
relativisé l'importance du langage, en affirmant au
contraire le rôle déterminant d'autres systèmes
signifiants comme l'utilisation des gestes, de la distance,
ou encore l'activation de schèmes communicatifs sanctionnés
par telle ou telle culture.
La compétence communicative,
notion englobante, n'existe pas en tant que telle, mais en
tant que somme d'éléments dynamiques en relation
d'influence mutuelle et qui se recoupent. Le tableau ci-dessous
offre une synthèse raisonnée et corrigée
des divers modèles qui ont été élaborés.
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La
compétence sémiotique
est la capacité à utiliser divers systèmes
signifiants primaires, comme le geste ou l'espace, ainsi
que les systèmes dérivés, comme le
vêtement, les codes sociaux et professionnels, etc.
Le langage, s'il figure au premier rang de ces systèmes
de par sa souplesse et les possibilités combinatoires
presque illimitées qu'il offre, n'est pourtant pas
toujours le plus efficace. Si donc on lui réserve
une place à part, on ne le place pas «au-dessus»
des autres systèmes.
Au sein de ce domaine se situe la compétence
proprement linguistique, celle qui a traits
aux divers aspects du langage (zone grisée), et,
encore plus restrictivement la compétence « grammaticale »
(matérialisée
par le carré jaune),
terme qui englobe la compétence syntaxique, morphologique,
sémantique et, dans une certaine mesure, phonologique.
La
compétence socio-culturelle consiste à
exploiter sa connaissance de codes culturels et sociaux,
linguistiques ou non. Elle inclut notamment la compétence
référentielle qui est la connaissance de certains
lieux, faits, personnages, symboles, produits, etc, partagée
par une majorité des membres d'un groupe social.
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model in English
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La compétence stratégique est
surtout la capacité
à (bien) choisir et d'agencer les divers types de sous-compétences
vers une efficacité maximum dans l'accomplissement
d'une tâche donnée. Une
précision importante qu'il convient d'apporter ici
est que ce terme de «compétence communicative»
au singulier est trompeur: nul n'est généralement
compétent, ou au moins ne l'est de manière uniforme.
On distinguera donc des degrés de compétence
et surtout des situations bien définies.
II.
LES SITUATIONS D'UTILISATION
En
termes pratiques, toute activité communicative correspond
à une situation particulière d'utilisation.
Il est donc guère de sens à prêcher l'enseignement
« en contexte » par rapport à
un enseignement traditionnel censément décontextualisé
(cf. Alice Omaggio Hadley, Teaching Language in Context,
3rd ed., Boston, Heinle & Heinle, 2001). Par défaut,
l'enseignement des langues en milieu scolaire et universitaire
correspond à une situation de type académique,
où l'utilisation du langage a pour seul but de satisfaire
aux exigences du programme d'enseignement lui-même,
même si les autres exigences font l'objet de simulations,
plus ou moins réalistes, plus ou moins complexes. En
effet, les apprenants restent bien conscients que les vrais
enjeux restent académiques, par opposition à
une personne en situation d'immersion
fonctionnelle pour qui la réussite ou l'échec
de telle ou telle tâche communicative a des repercutions
concrètes sur la vie quotidienne autres qu'une note
plus ou moins bonne à la fin du cours.
On peut distinguer quatre grands types
de situation d'utilisation que peuvent rencontrer les apprenants:
outre la situation Académique,
où c'est la compétence linguistique qui prédomine,
on distinguera
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— la situation
de type Social,
dont l'objectif principal est de former ou de cultiver des
relations avec les autres. Dans ce cas, c'est la compétence
socio-culturelle qui domine;
— la situation de type Pratique,
dont l'objectif principal est d'accomplir une tâche
précise, souvent concrète: passer le permis
de conduire, louer un appartement, trouver et acheter un
appareil ménager, etc. Dans ce cas, c'est la compétence
stratégique qui domine;
— la situation
de type Professionnel,
dont l'objectif principal est de démontrer une certaine
expertise (autre que purement manuelle) afin de mener à
bien une tâche complexe.
Il n'existe pas
de situation (ni de compétence) « générique »,
ni d'utilisation « hors de contexte »:
même l'exercice de grammaire le plus mécanique
se situe dans un contexte académique qui possède
sa propre logique. Le vrai problème est ailleurs,
dans la croyance erronée qu'un phénomène
de transfert va s'opérer d'un type de situation à
l'autre, et qu'à force de faire des exercices de
vocabulaire et de grammaire l'apprenant va pouvoir fonctionner
dans une situation autre qu'académique. Or, atteindre
un niveau de compétence élevé dans
une situation ne se traduit jamais automatiquement par un
niveau de compétence également élevé
dans un autre type de situation.
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III. QUELQUES IMPLICATIONS DIDACTIQUES
Elles sont nombreuses. Commençons
évidemment par la nécessité de prendre en compte
d'une manière ou d'une autre toutes les compétences
indiquées ci-dessus dans le cours de langue, en se demandant
si les activités qui sont proposées aux étudiants
— et le cursus en général — les prépare
réellement à communiquer, et dans quelle situation.
On abandonnera notamment la notion d'une compétence générique
illusoire pour tenter de définir des domaines de compétence
restreints sur lesquels s'articulera le programme de cours. Et si
le cours doit s'en tenir à une situation purement académique,
comme c'est généralement le cas, il ne faut pas tenter
de faire croire que les apprenants vont acquérir de réelles
compétences dans le cadre social, pratique ou professionnel.
On remarque qu'il n'existe pas de
« compétence culturelle » à
proprement parler, puisque toute communication est forcément
culturelle, voire interculturelle. Faire comprendre aux apprenants
la pensée, les comportements, les actes des membres d'un
groupe en tant qu'objets de savoir — ce que fait « l'enseignement
de la culture »
traditionnel — relève de la compétence
référentielle (comme la connaissance de l'histoire,
de la géographie, des spécialités culinaires
de telle ou telle région où la L2 est utilisée)
mais on peut sérieusement douter que ce savoir débouche
sur une activation en contexte appropriée, qui ne s'acquiert
que par l'usage in vivo. Encore faudrait-il en plus distinguer cette
acquisition de l'acculturation, qui se manifeste autant par la mise
en application d'un savoir que par une adhésion de l'individu
à certaines valeurs. La culture
— système de valeurs partagée — étant
surtout acquise inductivement par ceux qui la reçoivent en
partage, le plus souvent sans qu'ils en soient conscients, on peut
au contraire supposer que les apprenants devront eux aussi passer
par l'expérience répétée avant d'intérioriser
ces valeurs.
HAUT
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