L'IMMERSION

Dernière mise à jour: 16 octobre 2013
© 2013 Guy Spielmann
   

 

      Apprendre une langue en immersion ne revient pas simplement à suivre des cours plus intenses que ceux d'un cursus traditionnel. Il est donc impératif, afin de retirer tous les bienfaits de cette expérience, de comprendre sa nature et de prendre conscience de certaines stratégies qui aideront les apprenants à soutenir l'inévitable pression qu'ils vont subir, même s'ils possédent déjà un niveau avancé de compétence.
    L'immersion plonge complètement les apprenants
dans un milieu où ils ne peuvent pas fonctionner de la même manière que dans leur milieu naturel. Il leur faudra donc trouver un mode de fonctionnement (culturel, communicatif, comportemental, linguistique) plus ou moins différent de leur mode «natif», et adapté à ce nouveau milieu. En d'autres termes, il faut apprendre à devenir une autre personne. L'apprentissage proprement linguistique ne constitue qu'une partie de cette transformation, et les apprenants — mais aussi les enseignants — rencontreront de (grandes) difficultés s'ils tentent de continuer à fonctionner selon leur mode normal, mais dans une autre langue.

I. Quelques principes de base

1. L'immersion implique un fonctionnement «en circuit fermé» 

    L'immersion plonge l'apprenant dans un système (culturel, communicatif et linguistique) obéissant à ses propres règles, qui généralement ne doivent rien aux règles d'autres systèmes. Le but n'est donc pas de passer d'un système à un autre — de l'anglais au français, de la culture américaine à l'une des cultures francophones — mais de comprendre le système dans lequel on évolue en fonction de sa logique interne.
     Par exemple, le sens d'un mot français ne peut se saisir qu'en fonction du sens des autres mots en usage dans cette langue, et non pas des possibles équivalents qu'on peut lui trouver en anglais, en chinois ou en arabe. De même, les valeurs culturelles se comprennent en fonction d'autres valeurs qui leur sont contiguës, ou au contraire opposées dans la même sphère culturelle; il ne faut jamais évaluer ces éléments selon une grille de lecture qui appartient à une autre culture. Ainsi, un Américain jugeant que «The French are dirty» parce qu'ils ne se douchent pas au moins une fois par jour raisonne à partir d'une axiologie 'clean' vs. 'dirty' qui ne vaut réellement que dans la culture américaine; car si les Français possèdent aussi une axiologie 'propre' vs. 'sale', ce n'est pas la même, puisque les termes 'sale' et 'propre' renvoient à des réalités et des valeurs différentes de celles de leurs équivalents en anglais dans la culture Américaine.

2. L'immersion est communicative, et non pas linguistique

     Le terme souvent utilisé d'«immersion linguistique» (ou même de «bain linguistique») peut laisser croire que la maîtrise de la langue au sens strict est le facteur principal et premier de réussite. Or, ce qui relève du linguistique (disons, les mots et les phrases, les règles qui les régissent, la «grammaire») est en réalité subordonné au cadre beaucoup plus large de la communication. Ce cadre inclut entre autres:

  • à l'oral, des éléments suprasegmentaux, comme la prosodie et l'intonation
  • la proxémique (utilisation de l'espace), la kinétique (utilisation du mouvement), l'expressivité du visage (pour indiquer des états cognitifs ou affectifs)
  • des schèmes communicatifs (par ex. se saluer, demander qqch dans un magasin) où la composante linguistique peut être faible, voire nulle
  • des types de situation communicative, qui expriment des conventions sociales souvent ritualisées (par exemple, pour la France, 'prendre l'apéro'; pour les U.S.A., 'to go on a date')

Apprendre à communiquer implique surtout de maîtriser ces composantes, qui peuvent parfois être assez proches de celles que l'on pratique déjà, mais parfois aussi s'avèrent complètement différentes. En fait, les situations les plus problématiques sont souvent celles qui partagent un certain nombre de similitudes d'une culture à une autre: les Américains et les Français sourient et s'embrassent dans le cadre de la vie sociale, mais ni le sourire ni le baiser (sous leurs formes diverses...) n'ont exactement la même valeur ou le même usage dans les deux cultures.

3. L'immersion est collective et interactive

  Être en immersion signifie forcément être entouré d'autres personnes avec qui on se trouve en interaction (notion encore plus large que la communication). Quoique l'apprentissage linguistique puisse sembler individuel, il ne se réalise pleinement que dans le collectif, et l'erreur la plus fréquemment commise par les néophytes consiste à dissocier complètement l'apprentissage linguistique individuel et le cadre collectif. La présence d'autres personnes est un vecteur crucial d'apprentissage individuel, comme on le voit à un niveau très simple lorsqu'on se trouve confronté à un mot inconnu: seul, on épuise rapidement ses ressources et ses chances d'élucider le mot (à moins d'avoir un dictionnaire... ce qui pose d'autres problèmes, cependant); en revanche, on a de bien meilleures chances d'y arriver à plusieurs, non seulement en joignant les connaissances individuelles, mais aussi et surtout grâce à l'interaction et au «remue-méninges» qui permet de résoudre collectivement un problème que nul n'aurait pu résoudre individuellement.

II. Quelques stratégies pour l'immersion

1. Se laisser «submerger» pour pouvoir «flotter»

    La plupart des gens qui se noient auraient survécu s'ils s'étaient laissé flotter au lieu de se débattre. Il ne faut pas «résister» à l'immersion en faisant trop d'efforts, mais se laisser porter. N'oublions pas que l'être humain est naturellement prédisposé à l'apprentissage communicatif, linguistique et culturel. On a de bien meilleures chances d'apprendre et de se trouver à l'aise si on se relaxez plutôt que de lutter. En particulier...

  • Penser avant tout à communiquer, et pas à «produire du langage». Il est toujours possible—et parfois préférable!—de communiquer efficacement avec un minimum de mots.
  • Concevoir la communication en termes de «tâche à accomplir». Il faut se focaliser sur la fonction, ensuite sur la forme, et non le contraire. Lorsqu'on parvient à accomplir la fonction, on peut se soucier du «comment» l'accomplir avec une plus grande correction...
  • Approcher la communication de façon globale. On tentera de comprendre les messages avec tout ce qui les compose et les entoure (à l'oral comme à l'écrit), plutôt que de tenter de saisir des éléments isolés comme les mots: on peut très bien interpréter certains messages en ignorant la plupart des mots utilisés. Lorsqu'on a une idée générale du sens du message, on peut toujours ensuite, si on le désire — et si on en a le temps! — s'attarder sur chacune de ses composantes... mais ne mettons pas la charrue avant les boeufs.
  • Faitere des fautes, prendre des risques... puis se corriger. La prise de risque calculée est l'un des facteurs les plus importants de développement de la compétence linguistique, en langue première ou seconde; il faut faire attention lorsqu'on se fait corriger, ou lorsqu'un natif reprend ou répète ce que l'on a dit/écrit sous une forme correcte. En revanche, quiconque hésite à s'exprimer (à l'oral ou à l'écrit) par peur de l'incorrection grammaticale ou lexicale manquera un grand nombre d'occasions de s'entraîner, de se faire corriger, et donc de progresser—et surtout de se sentir à l'aise dans la langue.

2. Apprendre à fonctionner en L2 uniquement

    En s'appuyant sur sa langue maternelle, on ralentit ses progrès en croyant progresser plus vite. Il faut donc le plus tôt possible fonctionner entièrement dans la langue cible. Ce qui signifie...

  • Ne pas chercher pas à faire dans une langue exactement ce que l'on fait dans une autre. Les gens parfaitement bilingues et bi-culturels sont ceux qui disposent de deux modes de fonctionnement bien distincts. Leur ton de voix, leurs habitudes communicatives, leur personnalité même peut changer en fonction du «génie de la langue» autant que des schémas culturels propres à chaque société.
  • Se forcer à ne rien traduire d'une langue à l'autre, et à s'exprimer avec le matériau linguistique dont on dispose. Pour ceux compétence en L2 n'est pas très avancée (et même pour les autres), il est tentant de vouloir recourir à la traduction pour exprimer des pensées complexes ou effectuer des tâches communicatives avancées, qui demandent des ressources langagières que l'on ne maîtrise pas. Il faut au contraire s'efforcer de «passer du français au français» en utilisant au départ:
    --- Les synonymes ou quasi synonymes
    --- Les antonymes
    --- Les définitions ou périphrases
    --- Les exemples
    --- Des structures simples et non idiomatiques
  • Recycler des éléments (mots, locutions, expressions) que l'on a vus ou entendus en contexte. Ainsi, on n'a pas à vérifier leur authenticité, contrairement à ce que l'on a traduit.
  • Utiliser l'interaction à l'oral. Si on utilise un terme imprécis, si on ne termine pas une phrase, l'interlocuteur francophone risque de répliquer avec le terme précis, de terminer la phrase. Écouter, lire attentivement les réponses, les répliques à ce que l'on dit ou écrit permet d'enrichir considérablement son répertoire.
  • Tirer avantage d'outils à disposition. Le dictionnaire unilingue, les documents authentiques constituent des mines d'information qu'il faut exploiter méthodiquement.
  • Trouver des modèles à imiter. Passer à une autre langue, à une autre culture, c'est — initialement au moins  — jouer un rôle. Il faut donc être attentifs aux modèles que l'on peut observer à l'écrit comme à l'oral; notez, réutiliser les expressions que l'on a lues et/ou entendues, imiter les mélodies intonatives des natifs, leurs gestes, comme si l'on devait interpréter leur rôle.

3. Sur-communiquer

   Seule une pratique régulière de la communication permet de se sentir à l'aise. Il faut donc se forcer à communiquer à l'oral et à l'écrit plus qu'on ne le ferait normalement; saisir toutes les occasions de mettre en pratique ce que l'on a appris, essayer des formules dont on n'est pas sûr, entendre et lire du francais même dans des circonstances qui ne sont pas habituelles. Au départ, et jusqu'à ce que l'ont ait atteint un niveau de compétence avancé, l'intensité du contact avec la langue-cible est absolument déterminante.


  

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