La Révolution française (1789-1799)
1: 1788-1789

   Sous le terme de «Révolution française», on entend le plus généralement une série d’événements survenus entre 1789 et 1799, et qu’on peut classer en trois catégories: politiques (réunions, assembléées, promulgation de lois et de décrets, débats, création d’institutions, jugements, exécutions), militaires (campagnes et batailles, en France et à l’étranger) et insurrectionnels (manifestations, émeutes, pillages, lynchages, représailles, etc.). S’y ajoutent divers actes ponctuels où isolés que l’on pourra éventuellement rattacher à l’une ou l’autre catégorie: tentative avortée de fuite du roi, meurtre de Marat...

   Une vision assez répandue de la Révolution en fait un soulèvement populaire relativement spontané qui, motivé par la pauvreté et les inégalités criantes de l’Ancien Régime, met à bas le pouvoir royal et les antiques privilèges pour établir une république placée sous la triple exigence de liberté, d’égalité et de fraternité. Naturellement beaucoup plus complexe, la réalité est aussi moins nette et moins linéaire.

    Ceux qui ont voulu la Révolution—bourgeois et nobles libéraux—sont rarement parvenus à contrôler les événements qu’ils avaient déclenchés; beaucoup ont payé de leur liberté ou de leur vie les responsabilités qu’ils s’étaient données. A divers moments, ces événements ont pris un cours complètement inattendu; à plusieurs reprises on a pu croire que la Révolution était terminée, lorsque par exemple le roi a accédé à la plupart des demandes de l’Assemblée constituante de juin à octobre 1789. Pourtant, elle ne cesse de rebondir jusqu’à ce que Napoléon Bonaparte, par le coup d’état du 18 Brumaire (9 novembre 1799), mette un terme à l’aventure en remplaçant le Directoire, dernier vestige d’exécutif républicain, par le Consulat, qui prépare l’Empire.

    Or, l’épopée révolutionnaire, qui se dissout alors dans un régime bien plus autoritaire que la monarchie des Bourbons, était encore loin d’être terminée: elle se raviva en 1830, puis en 1848 et finit par triompher en 1871 lorsque s’installa définitivement la république, IIIe du nom. Mais certains des grands principes définis dès les premiers mois de l’Assemblée constituante en 1789 demeuraient inaccomplis; tandis qu’il avait fallu plus de cinquante ans pour finaliser l’abolition de l’esclavage (1848), pourtant implicite à la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, il en faudra cent autres pour que les femmes obtiennent, avec le droit de vote (1944), la base d’une égalité juridique et institutionnelle dont la construction; au début du XXIe siècle, n’est pas encore complètement achevée.

    Depuis août 1788, le pouvoir, sous l’impulsion du Contrôleur Général des finances, Loménie de Brienne, avait décidé de convoquer les États Généraux—ce qui n’avait plus été fait depuis 1614—afin de trouver une issue à la crise financière aiguë qui paralyse alors le royaume. Jacques Necker, banquier genevois qui avait déjà exercé les fonctions de Contrôleur Général (1777-81), est rappelé pour remplacer Brienne. Jouissant de la confiance du peuple (il avait durement critiqué le train de vie dispendieux de la cour), Necker envisage une solution sur le modèle anglais, et accepte le principe du doublement de la représentation du Tiers état, qui se retrouve donc avec autant de députés que les deux autres ordres (noblesse et clergé) réunis. Toutefois, le maintien du vote par ordre limite fortement les effets de cette mesure et provoque le mécontentement.

1789

    Dès janvier, la publication d’un pamphlet de l'abbé Joseph Sieyès Qu'est-ce que le Tiers-État?, donne le ton: «1) Qu'est-ce que le Tiers-Etat?—Tout. 2) Qu'a-t-il été jusqu'à présent dans l'ordre politique?—Rien. 3) Que demande-t-il?—A être quelque chose.» La question de la représentation proportionnelle se place ainsi d'emblée au cœur des débats.

    Depuis le début de l‘année, on a demandé au peuple de rédiger des «Cahiers de doléances», où s’expriment les griefs divers liés à la situation du pays. De ces milliers de cahiers (plus de 50 000 ont été conservés) se dégagent quelques grandes préoccupations comme l’inégalité devant l’impôt ou l’immobilisme social que favorise le système des privilèges; mais on ne souhaite encore que des réformes dont on pense qu’elles pourraient être mises en œuvre par Necker.

    Néanmoins, la situation politique et sociale demeure tendue: en avril des émeutes éclatent à Paris et à Marseille, où la prise des forts par une foule armée préfigure déjà celle de la Bastille.

    Le 5 mai s’ouvrent les États Généraux dans la salle des Menus Plaisirs du palais de Versailles. Très vite, on aboutit à une impasse, les représentants des deux ordres privilégiés refusant la délibération commune avec ceux du Tiers-État; le 17 juin, ces derniers se proclament «Assemblée nationale», et, trois jours plus tard, affirment sollenellement qu’ils ne se sépareront pas sans avoir établi une constitution pour le royaume (c'est le «Serment du Jeu de Paume»).

    Le 23 juin, Le roi réaffirme le principe des trois ordres, signifie clairement qu’aucune réforme constitutionnelle n’est à l’ordre du jour, et somme les députés du Tiers de rentrer dans le rang. L’un des orateurs les plus remarqués du Tiers, transfuge de la noblesse, Mirabeau, répond alors (selon la légende): «Nous sommes ici par la volonté du peuple et nous n'en sortirons que par la force des baïonnettes»; l'Assemblée nationale déclare la personne de ses députés inviolable.

    Pris de cours, Louis XVI ordonne au clergé et à la noblesse de se joindre au Tiers-État le 27 juin, et, le 9 juillet, l'Assemblée Nationale s’auto-proclame «constituante». Mécontent de la tournure des événements, le roi congédie de nouveau Necker deux jours plus tard, ce qui a pour effet de provoquer l’agitation dans Paris, où le ministre continue d’être perçu comme celui qui peut dénouer la crise. On parle de plus en plus d’un «complot aristocratique» destiné à enrayer les réformes et maintenir le statu quo, tandis que l’envolée des prix du blé, suite à une intense spéculation, provoque la disette.


Dans une ambiance quasi insurrectionnelle de paranoïa collective, on forme à Paris une municipalité dotée d'une milice, la «garde bourgeoise», bientôt «garde nationale», dont le commandement est confié à Joseph-Gilbert Motier, marquis de La Fayette, noble libéral et héros de la guerre d’indépendance américaine.

    Néanmoins la plus grande confusion règne et c’est une troupe hétéroclite sans véritable direction qui, le 14 juillet, s’attaque à la Bastille en tant que symbole de l’arbitraire du pouvoir. La forteresse, facilement prise (faiblement gardée, elle ne renfermait que sept prisonniers), est immédiatement démantelée. Sans véritable portée pratique ni politique, la prise de la Bastille fait date par sa nature spontanée, et surtout «populaire»; c’est pourquoi, dès l’année suivante, c’est le 14 juillet que l’on choisit pour commémorer le premier anniversaire de la Révolution.

   Tandis que certain aristocrates, déjà inquiets, commencent à émigrer, le roi se hâte de rappeler Necker aux affaires dès le 16 juillet et, le lendemain, vient à l'Hôtel de ville de Paris où il tente d’apaiser les esprits en professant ses bonnes disposition et en adoptant la cocarde tricolore, nouveau symbole national que lui offrent le maire, Bailly, et La Fayette. Mais partout en France, la populace s’attaque aux nobles: séquestrations, passages à tabac, lynchages et pillages se multiplient, provoquant la «Grande Peur».

    L’Assemblée, désormais dominée par le Tiers-État, proclame l’abolition des privilèges et du système féodal (c'est la «nuit du 4 août»), puis adopte la déclaration des droits de l'homme et du citoyen (26 août), dont le projet avait été présenté par La Fayette.


    Attisées par diverses rumeurs, peut-être alimentées par le cousin du roi (le duc d’Orléans), la colère et la frustration du peuple parisien se cristallise début octobre: un cortège armé, majoritairement composé de femmes (parfois des hommes travestis), se rend à pied jusqu’à Versailles, aux cris de «du pain!». Le palais est envahi et on évite de justesse un massacre, grâce au sang-froid de Marie-Antoinette et à l’intervention de La Fayette. Le roi accepte de rentrer a Paris avec sa famille (6 octobre); il renonce au droit de veto que l'Assemblée constituante lui avait accordé quelques semaines plus tôt, et contresigne les décrets d'abolition des privilèges et la déclaration des droits de l'homme.

    A son tour, l'Assemblée s'installe à Paris et à la fin du mois, décrète la loi martiale et commence à prendre diverses mesures pour tenter d’enrayer la crise financière: libéralisation des prêts à intérêts, et, en décembre, création d’un papier-monnaie (l’assignat). Parallèlement, on procède à la réorganisation administrative du royaume avec l’institution des municipalités et de 83 départements.
Premier Bilan

    La Révolution n'a pas commencé par une insurrection ou une révolte, comme il y en avait eu de nombreuses sous l'Ancien Régime, mais par un acte—la réunion des États Généraux—qui entre parfaitement dans le cadre des institutions de la monarchie; pourtant, il apparaît très vite que ce congrès national sert de catalyseur à divers phénomènes que le pouvoir est incapable d'empêcher. On se rend compte alors que le régime est en réalité sans défense, mais il n'est pas immédiatement renversé parce que les réformateurs modérés, majoritaires à l'Assemblée, envisagent une solution «douce» de passage à une monarchie parlementaire.

    Les quelques épisodes violents qui émaillent les six premiers mois de la Révolution sont le fait de groupes isolés et mal organisés. En fait, c'est la confusion qui domine, tandis que diverses factions (les «clubs»—il n'existe pas alors de partis politiques) et individus (La Fayette, Mirabeau, Danton) tentent de se poser en leaders ou en hommes providentiels, sans succès durable. Tout semble indiquer que le roi va accepter un régime constitutionnel, et que les troubles vont rapidement cesser; et les efforts des agitateurs qui cherchent à provoquer un dérapage n'auraient peut-être pas abouti sans la «trahison» du roi, d'abord par sa tentative de fuite à l'étranger, ensuite par les alliances secrètes qu'il conclut avec les puissances ennemies de la France (Prusse et Autriche).

Voir aussi:
>> L'Ancien Régime: un immense déséquilibre social
>> Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789
>> Symboles et citations célèbres de la Révolution