Introduction à la sémiotique


III. Analyse des systèmes signifiants et des textes
le texte publicitaire

le texte publicitaire Analyse de la campagne Carlsberg Publicités 1Publicités 2
 
 © 2018 Guy Spielmann

Système, texte, texte publicitaire

I. Le Système (rappel)

Quelques une des définitions qui ont été proposées:

  • «Quelque chose de plus ou moins organisé qui est distinct, de quelque façon que ce soit, de son environnement.» (Lerbet, 1984)
  • «Quelque chose qui fait quelque chose (activité=fonction) et qui est doté d'une structure, qui évolue dans le temps, dans quelque chose (environnement) pour quelque chose (finalité).» (Le Moigne, 1977)
  • «Ensemble de composants en interaction non-aléatoire.» (Berbaum, 1982)
  • «Combinaison d'éléments formant un tout organique en vue de l'atteinte d'un but spécifique ou de la réalisation d'une mission générale. Système circularoire/digestif/nerveux; sytème planétaire/scolaire; système de canalisation/électrique/ferroviaire/informatique/de défense/de signalisation/de soins/métrique.» (Legendre, 1993)
  • «Ensemble dynamique d'éléments distincts, interreliés, possédant une structure et formant un tout cohérent, ordonné et orienté vers un but.» (Legendre, 1993)

Les systèmes signifiants—dont le langage—auquels nous nous intéressons ici ont pour but principal d'exprimer et de véhiculer du sens grâce à des signes (laissons de côté pour l'instant la question de savoir s'ils produisent du sens).

     Notons que les éléments du système, entretiennent deux types de relation: d'affinité (deux entités n'ayant absolument aucun point en commun ne peuvent pas, par définition, faire partie du même système) et d'opposition (sans quoi un élément ne se distinguerait pas fonctionnellement d'un autre). Néanmoins, toute différence n'a pas forcément valeur d'opposition dans un système donné : certaines différences ne produisent que des variantes d'une même unité. On distinguera donc entre variations (de forme) et oppositions (de fonction).

     Par exemple, dans la mode vestimentaire masculine occidentale considérée comme système signifiant, la cravate constitue une unité (elle exprime un sens particulier, en se combinant avec d'autres unités comme la chemise ou la veste, en s'opposant au nœud papillon ou à l'absence de cravate, etc.), mais les différents styles ou les diverses couleurs de cravate ne sont que des variantes de cette unité si elles n'impliquent pas un changement de sens. De même, il y a plusieurs types de chemise, plusieurs types de veste, etc. qui rendent possibles des variations stylistiques sans forcément apporter d'élément signifiant nouveau.

     En phonologie, les allophones sont des variantes d'un seul et même phonème, comme les diverses réalisations du /r/ en français (sonore ou sourd, uvulaire, roulé, grasséyé...) qui dépendent du contexte ou du dialecte. En morphologie, les allomorphes sont des variantes d'un seul et même morphème, comme par exemple lir-, lect-, lis- dans (nous) «lirons», «lecteur», «illisible» respectivement: il y a un seul signifié, 'décoder un énoncé écrit', mais trois signifiants possibles.

     Chaque élément d'un système peut à son tour constituer un système. Lorsqu'il existe une hiérarchie de systèmes, parle de sous-systèmes et, au niveaux supérieurs, de supersystème, de suprasystème, et de métasystème . Par exemple le système «tenue de ville» [chemise-veste-cravate] constitue un sous-système de «mode vestimentaire masculine occidentale», qui est lui-même un sous-système de «mode vestimentaire», etc. En biologie, on observe l'emboîtement suivant:
    cellule > tissus > organe (foie, poumon, etc.) > système (digestif, respiratoire, etc.) > corps
(Un système décomposable en sous-systèmes non hiérarchisés sera désigné par le terme de macrosystème, et ses éléments, micro-systèmes, ou unités.)

      La détermination des unités peut varier selon le niveau d'analyse d'un même corpus où interviennent plusieurs systèmes. Un même corpus linguistique, par exemple, peut être analysé en tant que système phonologique (unité: le phonème), morphologique (unité: le morphème), lexicologique (unité: le mot), syntaxique (unité: le syntagme, ou la phrase), pragmatique (unité: l'énoncé), sémantique (unité: le sème ou sémème), etc.

      Les relations entre unités peuvent se situer dans deux dimensions (selon deux «axes»):

1) paradigmatique: relation de substitution («in absentia»): dans un même système, l'unité a est présente ou l'unité b est présente

2) syntagmatique: relation de concaténation («in presentia»): dans un même système, a
et b sont présents ensemble.

      Voir une présentation plus détaillée.

II. Le Texte (rappel)

     Alors qu'un système est une entité virtuelle, un jeu de relations possibles mais qui ne sont jamais réalisées toutes à la fois, un texte est une réalisation concrète et discrète (avec des contours, des limites, plus ou moins bien définis).
     Dans l'usage courant, on désigne par le terme de texte un ensemble de mots écrits ou imprimés ; plus généralement, nous définirons le texte comme un ensemble lisible. Ainsi, une rue, un costume, un numéro de cirque, une séance de l'assemblée nationale, un film ou un tableau nous apparaissent comme des phénomènes ayant une certaine étendue (spatiale ou temporelle), une certaine cohérence, et le pouvoir de faire sens. Nous les lisons comme expression d'un système signifiant particulier (ou de plusieurs systèmes combinés).

      Voir une présentation plus détaillée.


III. Le Texte publicitaire

     Dans l'analyse qui suit, le texte que j'ai choisi comme corpus n'a pas un début ni une fin bien définis, et il manifeste deux types de systèmes signifiants, l'un linguistique, l'autre pictural. Le texte est ici formé par une série de pages—c'est ce qu'on appelle une « campagne publicitaire »—destinées à être lues séparément, mais qui présentent un certain nombres de points communs. L'intérêt d'un tel texte, c'est que sa fonction est tout à fait claire : convaincre le lecteur d'acheter le produit dont il est question, en l'occurence de la bière Carlsberg; il s'agit donc d'un texte de type injonctif.
     Le travail d'analyse consistera donc à identifier les éléments signifiants et leur fonctionnement, c'est-à-dire les processus (sensoriels, psychiques, affectifs, cognitifs) qu'ils mettent en œuvre pour articuler le message, et le transmettre au lecteur.
     Le texte publicitaire se présente sous des formes matérielles diverses : support imprimé, comme ici, film, enregistrement audio, affiche, flyer, etc.. Généralement, il comporte au moins deux éléments : la présentation du produit dont on fait la réclame, et une argumentation qui vise à pousser le lecteur à acquérir ce produit. Sous sa forme la plus élémentaire, le produit est montré en tant que tel—ce qui suppose déjà qu'il soit identifiable sans ambiguïté—et on exprime une argumentation destinée à convaincre le lecteur. Celle-ci peut être très simple : « Buvez X ! », « Achetez Y !», ou, comme dans l'exemple ci-dessous, « C'est nouveau ! ».

    Pour aborder le texte publicitaire, nous observerons trois étapes indispensables: décrire, analyser, interpréter. Dans ce cas, le travail est considérablement facilité par notre connaissance a priori de l'interprétant final de ce message (voir le modèle de signe de Peirce), qui est forcément une injonction d'acheter le produit en question. D'autre part, nous sommes en présence d'un signifiant toujours et uniquement visuel, qui relève d'une combinaison variable de plusieurs types de systèmes signifiants, où figure le langage, et, presque toujours, «l'image» (dessin ou photo), c'est-à-dire une représentation iconique.
     
     La description sera d'abord celle du texte dans son ensemble, et du parcours de lecture qui est suggéré ou imposé par la mise en page, les proportions, la perspective, l'utilisation des couleurs, des tons, des harmonies et des contrastes, des formes, des polices d'imprimerie. La difficulté principale de cette étape est de décrire à la fois exhaustivement—tout élément peut avoir son importance—mais tout en allant très vite à l'essentiel. Il faut donc apprendre à balayer le document en remarquant ce qui s'y trouve sans s'enliser dans des inventaires fastidieux dont on n'aura plus rien à dire par la suite.

     L'analyse revient ici à se focaliser sur les différents signifiants pour se demander non pas seulement le sens qu'ils évoquent, mais comment ils l'évoquent. L'implicite, le non-dit, l'implication, l'appel au domaine de connaissances du lecteur et l'utilisation de diverses stratégies rhétoriques (métaphore, comparaison, métonymie, synecdoque, hyperbole, etc.) doivent être soigneusement identifiés, et leur fonctionnement expliqué. L'interprétant final n'apparaît souvent qu'au bout d'une chaîne logique où s'imbriquent un certain nombre de présomptions : le consommateur sait lire; il connait ou ne connait pas le produit; il désire acheter le type de produit vendu (par ex. de la bière, par opposition à une sorte de bière) ou il faut créer cette envie de toutes pièces; il aspire à une vie tranquille, ou excitante, etc.
     Naturellement, il existe peu de message publicitaires capables de fonctionner également bien quel que soit le récepteur (c'est-à-dire sans aucune présomption sur le profil du consommateur visé). L'analyse revient donc nécessairement à dresser le portrait robot du lecteur présumé, qui doit réagir de façon prévisible à certains stimuli, et réaliser certaines associations mentales. Il ne faut pas oublier que tout processus communicatif suppose deux communicants, et qu'il ne saurait se résumer à l'encodage et à l'émission.

     L'interprétation sera plutôt restreinte dans la mesure où l'interprétant final (il faut acheter le produit X parce que Y—sens dont l'agence publicitaire et le vendeur comptent bien qu'il sera perçu par le public visé) est déjà connu, et l'interprétant dynamique (la réaction individuelle de chaque lecteur) largement prévisible. Reste tout de même à explorer l'espace des variations, des sens parasites qui peuvent surgir du fait des ambiguités, des risques pris par l'émetteur qui sacrifie la clarté du message pour en maximiser l'intérêt.


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