Système,
texte, texte publicitaire
I.
Le Système (rappel)
Quelques une des définitions
qui ont été proposées:
- «Quelque chose de plus ou
moins organisé qui est distinct, de quelque façon
que ce soit, de son environnement.» (Lerbet, 1984)
- «Quelque chose qui fait
quelque chose (activité=fonction) et qui est doté
d'une structure, qui évolue dans le temps, dans quelque
chose (environnement) pour quelque chose (finalité).»
(Le Moigne, 1977)
- «Ensemble de composants
en interaction non-aléatoire.» (Berbaum, 1982)
- «Combinaison d'éléments
formant un tout organique en vue de l'atteinte d'un but spécifique
ou de la réalisation d'une mission générale.
Système circularoire/digestif/nerveux; sytème
planétaire/scolaire; système de canalisation/électrique/ferroviaire/informatique/de
défense/de signalisation/de soins/métrique.»
(Legendre, 1993)
- «Ensemble dynamique d'éléments
distincts, interreliés, possédant une structure
et formant un tout cohérent, ordonné et orienté
vers un but.» (Legendre, 1993)
Les systèmes
signifiants—dont le langage—auquels nous nous intéressons
ici ont pour but principal d'exprimer et de véhiculer
du sens grâce à des signes (laissons de côté
pour l'instant la question de savoir s'ils produisent du sens).
Notons
que les éléments du système, entretiennent deux
types de relation: d'affinité (deux entités
n'ayant absolument aucun point en commun ne peuvent pas, par définition,
faire partie du même système) et d'opposition
(sans quoi un élément ne se distinguerait pas fonctionnellement
d'un autre). Néanmoins, toute différence n'a pas
forcément valeur d'opposition dans un système donné :
certaines différences ne produisent que des variantes d'une
même unité. On distinguera donc entre variations (de
forme) et oppositions (de fonction).
Par
exemple, dans la mode vestimentaire masculine occidentale considérée
comme système signifiant, la cravate constitue une unité
(elle exprime un sens particulier, en se combinant avec d'autres unités
comme la chemise ou la veste, en s'opposant au nœud papillon
ou à l'absence de cravate, etc.), mais les différents
styles ou les diverses couleurs de cravate ne sont que des variantes
de cette unité si elles n'impliquent pas un changement de sens.
De même, il y a plusieurs types de chemise, plusieurs types
de veste, etc. qui rendent possibles des variations stylistiques sans
forcément apporter d'élément signifiant nouveau.
En phonologie, les allophones sont des
variantes d'un seul et même phonème, comme les diverses
réalisations du /r/ en français (sonore ou sourd, uvulaire,
roulé, grasséyé...) qui dépendent du contexte
ou du dialecte. En morphologie, les allomorphes sont des variantes
d'un seul et même morphème, comme par exemple lir-,
lect-, lis- dans (nous) «lirons», «lecteur»,
«illisible» respectivement: il y a un seul signifié,
'décoder un énoncé écrit', mais trois
signifiants possibles.
Chaque
élément d'un système peut à son tour constituer
un système. Lorsqu'il existe une hiérarchie de systèmes,
parle de sous-systèmes et, au niveaux supérieurs,
de supersystème, de suprasystème, et de
métasystème . Par exemple le système «tenue
de ville» [chemise-veste-cravate] constitue un sous-système
de «mode vestimentaire masculine occidentale», qui est
lui-même un sous-système de «mode vestimentaire»,
etc. En biologie, on observe l'emboîtement suivant:
cellule > tissus > organe
(foie, poumon, etc.) > système (digestif, respiratoire,
etc.) > corps
(Un système décomposable en sous-systèmes non
hiérarchisés sera désigné par le terme
de macrosystème, et ses éléments, micro-systèmes,
ou unités.)
La
détermination des unités peut varier selon le niveau
d'analyse d'un même corpus où interviennent plusieurs
systèmes. Un même corpus linguistique, par exemple, peut
être analysé en tant que système phonologique
(unité: le phonème), morphologique (unité:
le morphème), lexicologique (unité: le
mot), syntaxique (unité: le syntagme,
ou la phrase), pragmatique (unité: l'énoncé),
sémantique (unité: le sème ou sémème),
etc.
Les
relations entre unités peuvent se situer dans deux dimensions
(selon deux «axes»):
1) paradigmatique:
relation de substitution («in absentia»): dans
un même système, l'unité a est présente
ou
l'unité b est présente
2) syntagmatique: relation de concaténation
(«in presentia»): dans un même système,
a et b sont présents ensemble.
Alors
qu'un système est une entité virtuelle, un jeu de relations
possibles mais qui ne sont jamais réalisées toutes à
la fois, un texte est une réalisation concrète et discrète
(avec des contours, des limites, plus ou moins bien définis).
Dans
l'usage courant, on désigne par le terme de texte un ensemble
de mots écrits ou imprimés ; plus généralement,
nous définirons le texte comme un ensemble lisible.
Ainsi, une rue, un costume, un numéro de cirque, une séance
de l'assemblée nationale, un film ou un tableau nous apparaissent
comme des phénomènes ayant une certaine étendue
(spatiale ou temporelle), une certaine cohérence, et le pouvoir
de faire sens. Nous les lisons comme expression d'un système
signifiant particulier (ou de plusieurs systèmes combinés).
Voir
une
présentation plus détaillée.
III.
Le Texte publicitaire
Dans
l'analyse qui suit, le texte que j'ai choisi comme corpus n'a pas
un début ni une fin bien définis, et il manifeste deux
types de systèmes signifiants, l'un linguistique, l'autre pictural.
Le texte est ici formé par une série de pages—c'est
ce qu'on appelle une « campagne publicitaire »—destinées
à être lues séparément, mais qui présentent
un certain nombres de points communs. L'intérêt d'un
tel texte, c'est que sa fonction est tout à fait claire :
convaincre le lecteur d'acheter le produit dont il est question, en
l'occurence de la bière Carlsberg; il s'agit donc d'un
texte de type injonctif.
Le
travail d'analyse consistera donc à identifier les éléments
signifiants et leur fonctionnement, c'est-à-dire les processus
(sensoriels, psychiques, affectifs, cognitifs) qu'ils mettent en œuvre
pour articuler le message, et le transmettre au lecteur.
Le texte publicitaire se présente
sous des formes matérielles diverses : support imprimé,
comme ici, film, enregistrement audio, affiche, flyer, etc.. Généralement,
il comporte au moins deux éléments : la présentation
du produit dont on fait la réclame, et une argumentation qui
vise à pousser le lecteur à acquérir ce produit.
Sous sa forme la plus élémentaire, le produit est montré
en tant que tel—ce qui suppose déjà qu'il soit
identifiable sans ambiguïté—et on exprime une argumentation
destinée à convaincre le lecteur. Celle-ci peut être
très simple : « Buvez X ! »,
« Achetez Y !», ou, comme dans
l'exemple ci-dessous, « C'est nouveau ! ».
Pour
aborder le texte publicitaire, nous observerons trois étapes
indispensables: décrire, analyser, interpréter.
Dans ce cas, le travail est considérablement facilité
par notre connaissance a priori de l'interprétant final
de ce message (voir le modèle de signe
de Peirce), qui est forcément une injonction d'acheter le produit
en question. D'autre part, nous sommes en présence d'un signifiant
toujours et uniquement visuel, qui relève d'une combinaison
variable de plusieurs types de systèmes signifiants, où
figure le langage, et, presque toujours, «l'image» (dessin
ou photo), c'est-à-dire une représentation iconique.
La description sera d'abord celle
du texte dans son ensemble, et du parcours de lecture qui est suggéré
ou imposé par la mise en page, les proportions, la perspective,
l'utilisation des couleurs, des tons, des harmonies et des contrastes,
des formes, des polices d'imprimerie. La difficulté principale
de cette étape est de décrire à la fois exhaustivement—tout
élément peut avoir son importance—mais tout en
allant très vite à l'essentiel. Il faut donc apprendre
à balayer le document en remarquant ce qui s'y trouve sans
s'enliser dans des inventaires fastidieux dont on n'aura plus rien
à dire par la suite.
L'analyse
revient ici à se focaliser sur les différents signifiants
pour se demander non pas seulement le sens qu'ils évoquent,
mais comment ils l'évoquent. L'implicite, le non-dit,
l'implication, l'appel au domaine de connaissances du lecteur et l'utilisation
de diverses stratégies rhétoriques (métaphore,
comparaison, métonymie, synecdoque, hyperbole, etc.) doivent
être soigneusement identifiés, et leur fonctionnement
expliqué. L'interprétant final n'apparaît souvent
qu'au bout d'une chaîne logique où s'imbriquent un certain
nombre de présomptions : le consommateur sait lire; il connait
ou ne connait pas le produit; il désire acheter le type de
produit vendu (par ex. de la bière, par opposition à
une sorte de bière) ou il faut créer cette envie de
toutes pièces; il aspire à une vie tranquille, ou excitante,
etc.
Naturellement, il existe peu de message
publicitaires capables de fonctionner également bien quel que
soit le récepteur (c'est-à-dire sans aucune présomption
sur le profil du consommateur visé). L'analyse revient donc
nécessairement à dresser le portrait robot du lecteur
présumé, qui doit réagir de façon prévisible
à certains stimuli, et réaliser certaines associations
mentales. Il ne faut pas oublier que tout processus communicatif suppose
deux communicants, et qu'il ne saurait se résumer à
l'encodage et à l'émission.
L'interprétation sera
plutôt restreinte dans la mesure où l'interprétant
final (il faut acheter le produit X parce que Y—sens
dont l'agence publicitaire et le vendeur comptent bien qu'il sera
perçu par le public visé) est déjà connu,
et l'interprétant dynamique (la réaction individuelle
de chaque lecteur) largement prévisible. Reste tout de même
à explorer l'espace des variations, des sens parasites qui
peuvent surgir du fait des ambiguités, des risques pris par
l'émetteur qui sacrifie la clarté du message pour en
maximiser l'intérêt.
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