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Dernière
mise à jour:
30
aoüt 2024
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Introduction
à la communication
Analyse
communicative
La
Compétence communicative
Exemple: Paramètres de la conversation face-à-face
© 2024 Dr. Guy
Spielmann |
La Compétence
communicative
La notion de « compétence communicative » est
relativement récente dans l'étude des langues et leur
enseignement ; on peut la faire remonter au travail de
l'anthropologue américain Dell Hymes dans les années 1970,
construit sur une critique du postulat de Chomsky
'compétence vs. performance'. (Dell H.Hymes, Vers la
compétence de communication [On Communicative
Competence, 1972], trad. France Mugler, Paris,
Hatier/Didier, 1991). Le problème a été d'élaborer une
notion de « compétence » qui ne se ramène pas,
sous une forme plus ou moins adaptée, à la compétence
purement linguistique, c'est-à-dire en fait la mise en œuvre
d'un certain lexique et l'application de règles
morpho-syntaxiques et sémantiques (de
« grammaire »). Au départ, en effet, la compétence
s'est définie restrictivement comme la capacité à produire
effectivement des énoncés corrects dans une langue donnée,
par opposition à une connaissance théorique, avant
d'intégrer d'autres types de capacités allant au-delà du
cadre linguistique.
Divers modèles ont été
proposés, dont certains conservaient une hiérarchie où la
compétence linguistique dominait les autres, ou bien qui ne
distinguaient pas toujours clairement entre une
fonctionnalité communicative et les matériaux linguistiques
qui peuvent lui servir de support. De nouvelles théories de
la communication ont considérablement relativisé
l'importance du langage, en affirmant au contraire le rôle
déterminant d'autres systèmes signifiants comme
l'utilisation des gestes, de la distance, ou encore
l'activation de schèmes communicatifs sanctionnés par telle
ou telle culture.
La compétence communicative,
notion englobante, ne correspond pas à une entité unique,
mais à une somme d'éléments dynamiques en relation
d'influence mutuelle, et qui se recoupent. Le tableau
ci-dessous offre une synthèse raisonnée et corrigée des
divers modèles qui ont été élaborés.
Je
propose de distinguer trois grands domaines de compétence,
sémiotique, stratégique et socio-linguistique, qui se
recoupent partiellement, et qui englobent chacune un certain
nombre de compétences particulières.
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La
compétence sémiotique
est la capacité à utiliser divers systèmes
signifiants primaires, comme le geste ou
l'espace, ainsi que les systèmes dérivés, comme
le vêtement, les codes sociaux et
professionnels, etc. Le langage, s'il figure au
premier rang de ces systèmes de par sa souplesse
et les possibilités combinatoires presque
illimitées qu'il offre, n'est pourtant pas
toujours le plus efficace. Si donc on lui
réserve une place à part, on ne le place pas
« au-dessus » des autres systèmes. Au
sein de ce domaine se situe la compétence
proprement linguistique, celle qui a traits aux
divers aspects du langage (zone grisée), et,
encore plus restrictivement la compétence
« grammaticale » (matérialisée par le
carré jaune) terme qui englobe la compétence
syntaxique, morphologique, sémantique et, dans
une certaine mesure, phonologique.
La
compétence socio-culturelle
consiste à exploiter sa connaissance de
codes culturels et sociaux, linguistiques ou
non. Elle inclut notamment la compétence
référentielle qui est la connaissance de
certains lieux, faits, personnages,
symboles, produits, etc, partagée par une
majorité des membres d'un groupe social.
La
compétence stratégique est
surtout la capacité à (bien) choisir
et d'agencer les divers types de
sous-compétences vers une efficacité
maximum dans l'accomplissement d'une
tâche donnée. Une précision importante
qu'il convient d'apporter ici est que
ce terme de « compétence
communicative » au singulier est
trompeur: nul n'est généralement
compétent, ou au moins ne l'est de
manière uniforme. On distinguera donc
des degrés de compétence et
surtout des situations bien
définies.
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Exemple: Paramètres de la conversation face-à-face
L'instance la plus banale de la communication est
sans doute ce qu'on appelle la
« conversation », qu'on peut définir comme
un échange verbal synchrone continu dans le temps
sans contraintes topicales préétablies entre deux
interlocuteurs se faisant face. Ces
précisions, quelque peu fastidieuses en apparence,
sont nécesssaires pour caractériser la conversation
proprement dite, dont les participants sont en
contact à la fois visuel, auditif, mais aussi
olfactif et parfois tactile (contrairement à la
conversation télephonique, par exemple, ou à
l'échange de messages sur un babillard
électronique). La conversation met donc forcément en
œuvre, outre le langage, plusieurs systèmes
signifiants (c'est-à-dire des « codes »).
Le caractère
« informel » qu'on attribue communément à
conversation ne doit pas faire illusion: c'est une
interaction qui a ses règles, et qui implique la
maîtrise de multiples compétences. On peur ranger
les interactions communicatives sur un spectre
allant du rituel d'une part — c'est-à-dire
d'un échange entièrement scripté, où la latitude
accordée à chaque communicant est faible, voire
nulle—à la conversation d'autre part, où la latitude
(ce qu'on dit, comment on le dit) est maximale. Bien
sûr, l'existence de règles ne signifie pas qu'elles
sont toujours observées scrupuleusement, mais permet
de fixer un horizon d'attente; enfreindre ces règles
peut engendrer des effets plus ou moins graves:
incommoder ou blesser son interlocuteur, ne pas se
faire comprendre, échouer à un examen ou pire: si
lors d'une cérémonie de mariage les contractants ne
répondent pas à la demande de l'officiant par la
formule affirmative convenue (« oui » en
France, « I do » aux États-Unis), ils ne
seront pas légalement mariés.
Hautement
formalisé
(convergent)
Faiblement formalisé
(divergent)
<--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------->
Mariage,
investiture (politique),
Entretien
d'embauche,
Interview dans les
média
Conversation
intronisation
(club),
examen oral, débat
J'indique ici les pricipales composantes des
systèmes linguistiques et non linguistiques utilisés
dans la conversation, ainsi que divers phénomènes
cognitifs qui influent sur leur fonctionnement. La
plupart se retrouvent dans d'autres types
d'interactions communicatives.
Je laisse en revanche
de côté le « décor », c'est-à-dire les
circonstances de la communication (lieu, moment de
la journée, période de l'année, température
ambiante, etc...) qui ne sont pas directement liés
aux communicants, mais qui exercent une influence
parfois déterminante. Par exemple, un serment
(« Je le jure ») prêté chez soi, dans la
rue, dans un magasin, etc. n'implique qu'une
contrainte morale, alors qu'il prendra un caractère
légal s'il est prononcé dans un tribunal, sur la
demande d'un juge (et, aux U.S.A., sur la bible).
Naturellement, une
analyse n'est pas tenue de traiter de tous ces
paramètres exhaustivement, mais, même lorsqu'elle
s'attache aux phénomènes qui portent le plus de
sens, elle doit refléter la conscience que d'autres
facteurs existent et exercent une influence, même
subtile.
Ce document offre deux
lecture possibles, l'une linéaire, l'autre
hypertextuelle, à l'aide du menu ci-dessous. A
travers le corps du texte, des renvois hypertextuels
permettent de passer à d'autres parties du texte par
contiguïté thématique. Utilisez la fonction
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Il est également
possible d'aborder l'analyse à partir de l'infographie,
qui visualise un certain nombre de facteurs sur une
seule image.
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PHASES
D'UNE CONVERSATION
Une
conversation est un événement linéaire qui
se déroule dans le temps, avec un début, un milieu et une
fin.
AXE
DU TEMPS
------------------------------->------------------------------------------------------>------------------------------------->
Mise
en œuvre
(salutation, interpellation…)
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E
M
R
A
Y
A
G
E
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Sujet
initial
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T
R
A
N
S
I
T
I
O
N
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Sujet(s)
éventuel(s)
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D
E
B
R
A
Y
A
G
E
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Clôture
(salutation, projets…)
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I)
Facteurs linguistiques
A.
Au niveau de l'énoncé
1)
La Phonologie - l'accent (compétence
phonologique < champ sémiotique)
C'est
le système des unités sonores (phonèmes)
utilisés dans une langue, définies par les
possibilités d'opposition pertinentes entre
elles. Cette approche relationnelle l'oppose à
celle de la phonétique, qui s'intéresse
à la description accoustique et articulatoire
des sons du langage. Ainsi, en phonologie,
toutes les prononciations possibles du / i /
français ne modifient pas sont statut d'unité,
opposable par exemple à / y / (« pli »
~ « plus ») ou / e /
(« parti » ~ « partez »),
alors qu'en anglais la différence d'ouverture
entre / i: / et / i / produit deux phonèmes,
puisqu'on peut opposer « bean » ~
« bin ».
Pour l'analyse de la
conversation, le rôle de la phonologie se
manifeste à travers le phénomène de l'accent,
qu'on peut définir comme un ensemble
cohérent et constant de variantes
phonologiques collectives au sein d'une même
langue. L'accent touche à la fois les
phonèmes (par exemple le / r / roulé des
Bourguignons, le / a / postériorisé des
Québécois, le / ei / diphtongué des Belges,
etc.), et la courbe mélodique des énoncés
(accent « traînant »,
« chantant », etc.). Il ne véhicule
aucun sens particulier, tout en fournissant des
informations sur le vécu
du locuteur : origine géographique, ethnique,
nationale, socio-économique, etc. En revanche,
un locuteur qui adopte un accent qui n'est pas
le sien à l'origine produit un effet de sens,
dans un but humoristique (moquerie
essentiellement) ou mimétique (pour se fondre
dans une communauté linguistique, se faire
accepter, espionner, etc)
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2)
L'Intonation (compétence
prosodique < champ sémiotique)
Ce
terme désigne les variations de hauteur des tons
sur l'ensemble d'un énoncé, qui relèvent du code
parce qu'elles apportent un sens en fonction de
certaines conventions.
Le codage peut être
grammatical—par exemple, pour transformer une
assertion (« Tu viens ») en question
(« Tu viens ? »), ou en ordre
(« Tu viens ! »). Dans ce cas, l'intonème
(unité d'intonation) fonctionne exactement comme
un morphème (unité de sens); dans les
exemples ci-dessus, il est équivalent à
l'inversion sujet-verbe
(« Viens-tu ? ») ou l'addition du
morphème invariable « est-ce que »
(« Est-ce que tu viens ? ») pour
la question, et à l'emploi du mode impératif
(« Viens ! ») pour l'ordre.
Le codage
peut-être aussi expressif, et servir à marquer
la colère, la joie, la surprise, etc. Ce codage
est évidemment moins strict que le précédent,
sauf lorsqu'il est ritualisé dans certaines
formules idiomatiques ou dans la diction
théâtrale. Dans le cadre communicatif, on peut
néanmoins postuler qu'un énoncé du type
« Je suis surpris que tu aies réussi à
l'examen » équivaut fonctionnellement à
« Tu as réussi à l'examen ! »
prononcé avec une intonation de surprise
(éventuellement accompagnée d'une gestuelle
qui la renforce).
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3)
La Prosodie (compétence
prosodique < champ sémiotique)
La
prosodie désigne les variations de ton, de
hauteur, d'intensité et de longueur qui
affectent les syllabes, unités plus grandes que
le phonème, avec une fonction distinctive
(en Anglais, différence entre concrete,
adjectif, « concret », et concrete,
nom, « du béton »), démarcative
(séparer les mots) ou culminative
(séparer les groupes de mots : « L'homme
heureux n'a pas de chemise »
~ « L'homme, heureux,
partit en chantant »).
L'utilisation la
plus fréquente de la prosodie se trouve sans
doute dans la mise en valeur de certains mots et
groupes de mots, l'« accentuation » (à
ne pas confondre avec l'accent):
— Tu
veux jouer à la belote?
— A la pelote basque? Quelle idée saugrenue!
— J'ai dit à la belote, pas à la pelote!
En français, il n'existe pas d'accent distinctif
(contrairement à l'anglais, à l'italien, au
chinois...), et l'accent de mot tombe invariablement
sur la dernière syllabe du mot ou du groupe de sens:
«un
enfant»
«un petit enfant»
«un petit enfant bien élevé»
Seule
exception, l'accent expressif ou émotif,
comme par exemple dans l'exclamation « C'est
vraiment incroyable ! »
ou la première syllabe d'« incroyable »
porte un accent d'intensité et de hauteur qui
magnifie le degré de la surprise exprimée, sans pour
autant changer le sens du mot.
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4)
Le Vocabulaire
(compétence
lexicale < champ sémiotique)
Alors
que le lexique représente l'ensemble des
mots dont dispose une langue donnée, le vocabulaire
désigne l'ensemble des mots qui sont
effectivement utilisés dans le discours. Il
n'existe ainsi qu'un seul lexique du français,
mais chaque francophone utilise un vocabulaire
plus ou moins étendu, et qui varie d'un individu
à l'autre. Il est néanmoins difficile d'étudier
le vocabulaire individuel sans disposer d'un
large corpus, alors qu'il est beaucoup plus aisé
de définir le vocabulaire d'un groupe (social,
professionnel, etc.).
Deux formes du
vocabulaire sont facilement perceptibles: le jargon,
vocabulaire technique ou spécialisé propre à un
secteur d'activité (il y a un jargon des
linguistes, des programmeurs, mais aussi des
philatélistes ou des skieurs), et l'argot.
Techniquement, un
argot est un vocabulaire parallèle dont l'emploi
répond à un double but : reconnaissance entre
membres d'un groupe donné, et exclusion des
étrangers au groupe. Historiquement, il
appartenait aux milieux de la pègre, les
criminels ayant tout intérêt à parler une langue
qui ne soit pas compréhensible du grand public.
En français, un certain nombre de mots
argotiques ont été intégrés au lexique, et sont
désormais perçus comme simplement familiers : bouquin,
bagnole, godasse, mec, bosser,
etc. Leur usage appartient donc au domaine du niveau
de langue et du registre.
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5)
La Morphologie (compétence
morphologique < champ sémiotique)
La
morphologie désigne l'étude de la forme des mots
(par opposition à leur sens), et reconnaît comme
niveau de pertinence celui du morphème,
plus petite unité sonore porteuse de sens.
L'ensemble des variations possibles d'un morphème
en un même point de la chaîne parlée constitue un
paradigme.
La morphologie offre
peu de liberté au locuteur. Celle-ci relève
principalement du niveau
de langue, et ne touche qu'un petit nombre
de formes: la négation (qui perd sa première
composante, le « ne », dans le niveau
familier), la réduction de plusieurs pronoms
relatifs (notamment « dont ») à
« que », l'emploi de certains modes et
temps verbaux de préférence à d'autres (par
exemple le présent du subjonctif plutôt que
l'imparfait que la concordance des temps
exigerait, ou le subjonctif avec « après que » à
la place de l'indicatif).
Il faut également
tenir compte du fait qu'un locuteur prendra à
l'oral des libertés qu'il s'interdira à l'écrit.
Bien que les exemples cités ci-dessus puissent
sembler constituer des fautes par rapport au « bon
usage », ils reflètent des habitudes linguistiques
tellement répandues chez les locuteurs du français
(même éduqués) qu'on les considère le plus souvent
comme conformes à une « grammaire de la langue
parlée », ce qui les distingue des formes agrammaticales
(qu'aucun locuteur natif ne produirait), dites
aussi « barbarismes », typiques de l'apprenant de
langue seconde.
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6)
La Syntaxe (compétence
syntaxique < champ sémiotique)
C'est
l'ensemble des règles d'agencement des morphèmes
le long de la chaîne parlée (selon l'axe
syntagmatique). Ces règles peuvent
seulement spécifier ce qui est possible et
impossible (par exemple, « Pierre boit un
verre d'eau » est possible, mais
« boit un Pierre d'eau verre » ne
l'est pas), mais aussi les changements de sens
liés à la variation de l'ordre des morphèmes
(différence entre « un hôpital
ancien » et « un ancien
hôpital », entre « Pierre bat
Paul » et « Paul bat Pierre »).
La construction
des phrases en français diffère beaucoup à
l'oral et à l'écrit (contrairement à l'anglais,
qui doit sans doute à cette particularité une
partie de son succès planétaire). Cela dit, le
niveau soutenu, même à l'oral, se
distingue par une syntaxe « forte »
exprimée dans la complexité des phrases et
l'utilisation de conjonctions de subordination.
Le niveau relâché se caractérise en revanche
soit par la parataxe (accumulation de
propositions sans que les rapports de
coordination ou de subordination soient
explicités), soit par une syntaxe
« faible » (prédominance de la
conjonction de coordination :
« mais », « et »,
« donc »), ou bien encore par des
ruptures de syntaxe (ou asyndète: la
structure initiale d'une phrase, abandonnée
avant d'avoir été menée à son terme, est
remplacée par une autre).
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7)
Le Niveau de langue et le registre (compétence
lexicale < champ sémiotique)(compétence
socio-linguistique < champ socio-culturel)
C'est
un phénomène dont l'analyse appartient au
domaine de la sociolinguistique. Pour une langue
donnée, on observe toujours au moins trois
niveaux : courant (ou
« standard »), soutenu et relâché
(ou « familier »). Le niveau soutenu
caractérise une élite sociale dont les valeurs
culturelles servent de modèle ; dans le cas du
français, il est aussi celui de la langue écrite
soignée.
Chaque niveau peut
admettre des variantes, comme par exemple le
français épistolaire, qui appartient au niveau
soutenu, mais exige l'emploi d'un vocabulaire
et de conventions rhétoriques qui lui sont
propres.
Le registre
désigne l'amplitude de niveau d'un locuteur
donné, c'est-à-dire sa capacité de passer d'un
niveau à un autre selon les circonstances. D'un
point de vue communicatif, il peut être tout
aussi problématique d'utiliser une langue trop
soutenue pour le contexte, que de ne pas pouvoir
passer au niveau soutenu lorsque cela est
indiqué. Les apprenants de langue seconde
éprouvent souvent des difficultés à s'intégrer
conversationnellement dans la culture-cible
parce qu'on leur enseigne seulement le niveaux
courant et soutenu, d'où un effet d'hypercorrection.
Le niveau peut
affecter l'ensemble des composantes
linguistiques (phonologie,
morphologie,
syntaxe, vocabulaire...),
et ne se résume donc pas à un répertoire
lexical, contrairement à ce qu'on s'imagine
parfois. Les différences de niveau au sein d'un
même discours donnent une impression d'étrangeté
qui devient facilement comique. Un auteur comme
San Antonio (Frédéric Dard) tire de savoureux
effets du mélange de l'hypercorrection
syntaxique et morphologique avec un vocabulaire
et un contenu d'une extrème vulgarité.
Les
linguistes ne reconnaissent généralement pas de
niveau « vulgaire », bien que les
dictionnaires fassent la distinction. Ceci est
dû au fait que seuls les mots peuvent être
vulgaires (et non pas la syntaxe, ni la
morphologie), mais aussi que la perception de
vulgarité dépend beaucoup du contexte, et peut
changer avec le temps. Ainsi le mot
« merde » et ses dérivés
( merdeux », « merdique »,
« merder », « merdier »,
« emmerdeur », etc.), assurément
vulgaire au départ, n'est plus désormais que
familier. Le mot « con » reste
vulgaire lorsqu'il désigne le sexe de la femme
(latin cuneus), mais il est aussi devenu
familier dans le sens d'« imbécile »
et ses formes dérivées (« connerie »,
« déconner », « connard »
etc.).
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B.
Au delà de l'énoncé
1)
Les Stratégies discursives
(compétence
discursive < champ sémiotique/
champ socio-culturel
/ champ stratégique)
On
parlera de stratégies discursives pour désigner
tous les moyens mis en ordre pour agencer des
énoncés afin de composer un discours
(défini comme l'unité supérieure à l'énoncé). Ces
stratégies visent à obtenir un ensemble non
seulement cohérent, mais intéressant, amusant,
intriguant, etc. selon l'effet qu'on veut produire
sur l'interlocuteur. La discursivité est donc ce
qui donne à une suite d'énoncés la qualité de
discours — cohérence, unité
et but — et la distingue ainsi
d'une simple accumulation. De façon plus simple,
on peut opposer la capacité de générer des phrases
(compétence morpho-syntaxique) à celle de générer
un discours.
A l'écrit, on
parlera plutôt de texte
que de discours, à moins qu'on veuille définir le
texte plus strictement comme l'instanciation d'un
discours.
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2)
Les Stratégies rhétoriques (compétence
rhétorique
< champ sémiotique/
champ stratégique)
On peut
dire pour simplifier que la rhétorique consiste à
manipuler consciemment le langage (généralement à
partir de « recettes » bien définies) en
vue d'obtenir un effet quelconque sur le
récepteur. Conçue à l'origine pour les besoins du
discours public dans la Grèce antique, puis à
Rome, la rhétorique a constitué un savoir
essentiel de toute personne éduquée jusqu'à l'aube
du XXe siècle, et bénéficie d'une
tradition riche et complexe. Or, tout locuteur
d'une langue, si inculte soit-il, a appris à
utiliser certaines ressources rhétoriques pour
s'exprimer. Les plus connues sont les « figures
» que tout un chacun pratique au quotidien (la métaphore,
la synecdoque, la métonymie, l'hyperbole,
la litote, etc.) et qui sont circonscrites
à l'énoncé.
On parlera de stratégie
rhétorique pour tout ce qui concerne
l'organisation et l'agencement du discours. Si par
exemple l'on doit formuler une critique, on pourra
d'abord commencer par faire des compliments pour
sembler plus objectif, ou pour s'attirer la
sympathie de l'auditoire (captatio
benevolentiae), ou encore affirmer qu'on ne
dira pas ce qu'on est précisément en train de dire
(prétérition). L'utilisation d'arguments-types
(les « lieux communs » (topoï)),
la planification du discours selon la structure le
plus efficace possible (la dispositio) et
son enrichissement à l'aide de procédés divers (l'elocutio)
ont été méticuleusement étudiés et codés par la
rhétorique avant de passer dans l'usage courant.
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3)
L'Acte de parole
(compétence pragmatique < champ sémiotique/
champ socio-culturel
/ champ stratégique)
L'acte
de parole est un énoncé considéré à la
fois dans sa matérialité (acte locutif)
et dans l'intention communicative du locuteur
(acte illocutif), que l'on peut
qualifier selon un nombre limité de fonctions.
On parle d'éffet perlocutif pour
désigner ce que l'acte de parole provoque chez
l'interlocuteur.
Cette approche a
l'avantage de séparer la forme et la fonction
des énoncés: on n'utilise pas toujours une
structure interrogative pour formuler une
demande, ni une structure impérative pour
formuler un ordre, etc. Oscar Wilde disait qu'un
fâcheux est quelqu'un qui commence à vous parler
de sa santé lorsque vous lui demandez comment il
va ; le plus souvent, en effet, l'énoncé
« Comment allez-vous ? », en
dépit de sa forme interrogative, n'appelle pas
de réponse circonstanciée, mais une formule
également convenue comme « Très bien, et
vous ? ».
C'est grâce à
notre capacité d'inférence
que nous sommes le plus souvent en mesure
d'interpréter correctement l'intention de
communication lorsqu'elle n'est pas clairement
indiquée par le sens de l'énoncé.
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4)
L'Univers du discours
Puisque
tout discours (et tout texte) existe dans une
dimension physique (temps et/ou espace), le sens
d'un mot ou d'un énoncé s'établit en fonction de
l'information déjà disponible. Ainsi fonctionne
par exemple le phénomène de l'anaphore,
qui anticipe sur ce qui va venir ;
l'utilisation de nombreux pronoms suppose un
antécédent déjà identifié ; un mot ou une
expression répétée plusieurs fois au cours d'un
même discours finit par se charger d'un sens
qu'ils n'avaient pas à la première apparition,
etc.
Au sens
(niveau de la sémantique) et à la référence
(à une réalité extérieure, ou au contexte de
l'énonciation) s'ajoute donc un système de
relations interne au discours ou au texte, qui
reste en expansion jusqu'à ce que la prise de
parole, la lecture, l'audition soit terminée:
c'est ce qu'on appelle l'univers du discours.
Maîtriser l'univers
du discours exige des compétences relationnelles
qui ne sont pas proprement communicatives, mais
aussi à l'occasion des compétences lexicales
(adverbes, formules comme « insi que nous
le disions plus haut »),
discursives et rhétoriques.
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5)
La Présupposition
En
termes de logique, on dit qu'une proposition A
présuppose la proposition B, lorsque B
est vraie seulement lorsque A est
vraie ; dans le cadre de la communication,
ce rapport lie deux énoncés, dont l'un, le
présupposé, n'est pas explicité. Exemple
classique: « Le roi de France est sacré à
Reims » présuppose « Il existe un roi
de France ».
La présupposition
ne renvoie pas à la réalité, mais exprime
seulement le rapport entre deux énoncés :
dans l'exemple ci-dessus, une présupposition
existe même s'il n'y a plus de roi de France
depuis 1848. On peut alors considérer que
le présent de l'indicatif fonctionne comme
« présent historique » ou comme
« présent intemporel ».
La
présupposition, relation logique de validité
entre propositions ou énoncés, se distingue
de l'implication,
qui concerne plus largement l'information
transmise.
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II)
Facteurs extra-linguistiques
A.
Les Fonctions communicatives
Toute
communication suppose des motivations ou des
buts dont divers chercheurs on tenté de dresser
la taxinomie.
L'une de celles à laquelle on fait souvent
référence est due à Roman Jakobson, qui postule
six fonctions relatives à six éléments
fondamentaux de la communication, selon que la
focalisation se fait sur l'émetteur (fonction expressive
ou émotive), le code (fonction métalinguistique),
le message (fonction poétique), le
contexte (fonction référentielle), le
récepteur (fonction conative), le
contact entre émetteur et récepteur (fonction phatique).
Cette
dernière fonction permet de prendre en compte
les échanges communicatifs qui véhiculent très
peu d'information au niveau des énoncés, mais où
le sens du message renvoie au désir de maintenir
une relation. C'est ce qu'on observe lors des
échanges de « banalités » (sur le
temps qu'il fait, la santé, les derniers
résultats sportifs, etc.) et de formules
ritualisées lors de rencontres brèves où les
circonstances rendent inutile, indésirable ou
imposible un échange d'information. Si l'on
« ne dit rien » lors de telles
interactions, le message a bien un sens, qu'on
peut déterminer comme suit:
- reconnaissance (ou
désir de faire connaissance, s'il s'agit d'une
première rencontre)
- volonté
d'entretenir la relation; l'absence de salut ou
d'échange de banalités signalant a contrario
une rupture plus moins sérieuse et définitive de
ladite relation (ou le manque de désir de nouer
une relation).
On
pourrait dire que le sens du message de type
phatique se construit globalement (quels que soient
les énoncés employés) par opposition à la
possibilité d'une absence de message (phénomène du
« signifiant zéro »).
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B.
Systèmes signifiants non-linguistiques
1)
Le Mouvement
(compétence
gestuelle < champ sémiotique/
champ socio-culturel
/ champ stratégique)
Etudié par la kinétique
(ou kinésique, ou kinesthétique), le mouvement
peut se subdiviser en gestuelle
(utilisation des membres), posture
(positionnement général du corps), et mimique
(expressions du visage). Si le sens de tel ou tel
mouvement est rarement difficile à interpréter, il
s'avère toujours malaisé de postuler l'existence
d'un véritable code kinétique et d'en
décrire le fonctionnement. Les
répertoires de gestes et d'expressions, parfois
remarquablement détaillés et accompagnés de
croquis ou de photos, n'ont jamais débouché sur
une compréhension systémique qui permettrait
d'établir une « grammaire du geste », et
d'assigner un sens particulier à chaque geste,
éventuellement décomposé en unités plus petites
(ce qu'on opposera aux langages par
signes — des sourds ou des moines
Trappistes — ou encore la gestuelle
précisément codée de la danse balinaise). Les
gestes, les postures et les mimiques,
culturellement déterminés, sont particulièrement
difficiles à saisir pour les étrangers au
groupe ; mais cela n'en fait pas pour autant
un système
signifiant au sens propre. Reste la
possibilité d'analyser leur fontionnement
communicatif, surtout intéressant du fait des
interactions avec d'autres éléments, en
particulier le langage.
On pourra au moins chercher à
distinguer:
- Le geste expressif
ou affectif, qui indique un état du
communicant (intérêt, ennui, réceptivité,
distraction, compréhension, incompréhension)
propre à influer sur l'usage linguistique,
mais sans renvoyer à un sens précis.
- Le geste déictique,
qui explicite une référence en complémentarité
du linguistique (« C'est à toi,
ça ? » prononcé tout en montrant
du doigt un objet) ou en redondance
(« C'est à toi, cette
veste ? » en montrant la veste en
question). Cette référence peut rester
extrêmement vague, comme par exemple dans
les mouvements de mains qui « miment » plus
ou moins symboliquement ce qui est
dit ; il peut s'agir alors d'une
gestuelle d'accompagnement, d'intensité et
de signification variable selon les cultures.
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2)
La Proxémique (compétence proxémique
< champ sémiotique/
champ socio-culturel
/ champ stratégique)
C'est
l'utilisation de l'espace à des fins
communicatives. Le cas le mieux connu
est celui de la distance que deux
interlocuteurs maintiennent entre eux ;
elle est à la fois culturellement
déterminée et variable en fonction des
rapports (affectifs, hiérarchiques,
sociaux, professionnels...) qui lient
les interlocuteurs.
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3)
Les Stratégies communicatives (compétence
stratégique < champ
stratégique)
Par
« stratégie communicative », on
désignera tous les moyens mis en œuvre pour
affecter le processus de communication (y
compris ceux déja identifiés ci-dessus), mais en
particulier ceux qui interviennent à un
niveau plus général que celui du discours.
Pour reprendre l'opposition traditionnelle
stratégie ~ tactique, on pourait donc dire que
la gestion de l'acte communicatif relève de la
stratégie, alors que l'organisation discursive
s'apparente à la tactique.
Citons par exemple
les stratégies de prise de parole (parler,
écouter, interrompre, répondre en écho,
reprendre ce que dit l'interlocuteur ou changer
de sujet, etc.), l'implication plus ou moins
grande dans l'interaction, le respect ou la
violation délibérée des règles d'étiquette, ou
encore l'exploitation de connaissances
psychologiques ou sociologiques sur
l'interlocuteur ou la situation d'interaction
afin de mieux contrôler celle-ci.
Dans un
débat politique entre deux candidats à une
élection, par exemple, chaque participant peut
choisir de répondre point par point à ce que
l'autre a dit, ou bien utiliser son temps de
parole pour exposer ses propres arguments, sans
se préoccuper de la substance de l'intervention
de son adversaire. Il peut adopter une posture
« fermée » (bras croisés, air sévère)
pour signifier qu'il désapprouve la politique de
son rival, ou au contraire une posture
« ouverte » pour mettre l'accent sur
ses propres qualités de transparence, de
convivialité. Le choix des sujets abordés (et
évités) constitue un autre élément stratégique.
Une fois ces choix
effectués, chacun peut encore jouer sur la
longueur et la complexité de ses phrases (pour
paraître érudit et compétent, ou au contraire
simple et « près des gens »), un vocabulaire
qui pourra varier selon sa couleur politique
(« camarades »,
« république », « citoyen »,
« national »), ect; mais il s'agit là
d'éléments discursifs plutôt que communicatifs.
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4)
Le Vécu des communicants (compétence
référentielle < champ
socio-culturel)
Chaque être humain apporte à l'interaction
communicative un vécu qui lui est propre :
origines, milieu, sexe, expériences, habitudes.
L'utilisation des ressources linguistiques et
communicatives doit être interprétée si possible
en fonction de ce vécu, mais on peut considérer
aussi qu'elle le reflète, ou parfois même
qu'elle le « trahit » indépendamment
de la volonté de l'émetteur (c'est par exemple
le cas de l'accent, ou de traits physiques comme
la couleur de la peau).
Le rôle du vécu
est particulièrement important dans tout ce qui
implique une appréciation, un jugement de
valeur: La référence
de « Cette voiture est chère », par
exemple, s'analyse de deux manières différentes,
l'une relativement plus objective, si le
jugement se fait par rapport à une moyenne du
prix des voitures (ou du moins dans une
catégorie de voitures déterminée) ; l'autre
plus subjective, qui varie en fonction du
vécu : la personne issue d'un milieu
modeste va trouver « chère » une
voiture dont le prix semble tout à fait
raisonnable à une personne issue d'un milieu
aisé. L'importance du vécu est d'autant plus
grande lorsque le discours comporte des marques
d'énonciation; « Cette Ferrari coûte six
cent mille euros » a une latitude
d'interprétation beaucoup moins grande que
« Cette voiture est chère ».
Le vécu est
également lié au domaine
de connaissances, dont il constitue
l'arrière plan (le contexte où les connaissances
ont été acquises). Ainsi, un locuteur peut
ajuster son discours en fonction des
connaissances qu'il présume acquises par un
interlocuteur dont le vécu lui est familier.
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5)
La « Culture » (compétence
référentielle < champ
socio-culturel)
Bien
qu'aucune définition de cette notion ne fasse
l'unanimité, on peut au moins établir le fait que
la culture s'oppose axiologiquement à la nature
(même si la ligne de partage reste impossible à
préciser), et qu'elle constitue une structure (une
forme, dans le vocabulaire de la
sémiotique), à ne pas confondre avec ce qui est
structuré par elle — objets, actes,
idées, sentiments, goûts, attitudes,
comportements —, qui en sont les
manifestations.
Notre seule
façon de connaître une culture est d'étudier ces
manifestations pour reconstituer un système de
valeurs (une axiologie) qui puisse rendre
compte de l'existence de chacune d'entre elles.
Dans l'usage commun, on a l'habitude d'associer la
culture à un groupe social; cela est vrai dans la
mesure ou chaque culture est un ensemble de
valeurs qui émane forcément d'une communauté
humaine, et qui à la fois sert à définir cette
communauté. D'un autre côté, il est devenu
extrêmement rare dans les pays développés qu'un
groupe social reflète une culture monolithique,
sans courants, nuances ou dissentions internes.
Par définition, tout
système signifiant exprime une culture, puisque la
sémiosis (la mise en relation d'un
signifiant et d'un sens) repose sur la convention,
et non sur un rapport naturel. Le qualificatif de
« culturel » appliqué à une entité
quelconque ne sert donc guère qu'à rappeler le
caractère particulier (non-universel) des
habitudes, des comportements, des perceptions,
etc. On distinguera la « culture
humaine » en tant que « seconde
nature » et les cultures spécifiques. Par
exemple, si « le rire est le propre de
l'homme » comme l'a écrit Rabelais, les modes
du rire varient considérablement : de quoi
(ou de qui) rit-on, comment, quand, en présence de
qui, dans quel but ? etc. C'est pourquoi nous
distinguons diverses formes d'humour, qui n'ont
rien à voir avec le rire en tant que phénomène
physique (émission de son aigus, tension
musculaire faciale, etc.).
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III)
Les Phénomènes cognitifs liés à la communication
Ces
phénomènes ne sont pas toujours spécifiques à la
communication, mais ils la facilitent ou la rendent
possible. Qu'ils affectent le linguistique ou le
non-linguistique, ils sont en tout cas universels
chez l'être humain, même si leur manifestation varie
selon les cultures.
A.
L'Interaction entre systèmes signifiants
Si
l'on peut commencer
par isoler et analyser séparément un seul système
signifiant, il faut toujours tenir compte du fait
que le sens du message n'est pas seulement obtenu
en ajoutant les éléments de sens particuliers
produits par chaque système, mais représente le
résultat d'une interaction entre les divers
systèmes mis en oeuvre. On peut classifier cette
intéraction selon trois modes :
1) Complémentarité
(un système apporte un élément de sens qu'un autre
ne fournit pas, mais sans contredire ce dernier).
2) Redondance (un système apporte un
élément de sens qui renforce celui déjà fourni par
un autre, sans rien ajouter de nouveau)
3) Contradiction (un système apporte un
élément de sens qui contredit celui que fournit un
autre système).
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B.
La Déixis
La
déixis est un phénomène de référence aux
circonstances de l'énonciation —
lieu, temps et énonciateur (et souvent,
énonciataire) — sans lequel un message ne
peut être interprété, même s'il est compris.
Ainsi, « Je te retrouverai ici même en fin
d'après midi, disons, à dix-huit heures. »
n'est complètement interprétable que si l'on
connaît l'émetteur, le récepteur, le lieu et le
moment de l'énonciation ; mais tout locuteur
du français comprend que l'émetteur propose au
récepteur de le retrouver en un lieu et un moment
déterminés.
On peut concevoir ce
phénomène comme celui d'un sens
« relatif » qui s'opposerait à un sens
« absolu » qui dépend du domaine
de connaissances ; un énoncé comme
« Louis XIV a donné le marquisat de Louvois à
François Michel Le Tellier en 1662 »,
interprétable sans contexte énonciatif, demande
néanmoins la maîtrise d'un certain domaine de
connaissances. En revanche, « Je te
retrouverai ici même en fin d'après midi, disons,
à dix-huit heures » est interprétable par
n'importe quel locuteur francophone informé du
contexte de l'énonciation, même s'il est
totalement ignare en histoire.
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C.
Le Décodage
Dans la
théorie de la communication, le décodage est
l'opération inverse de l'encodage, qui permet au
récepteur de reconstituer le sens du message. On
doit distinguer au sein du décodage trois étapes
possibles:
1) le
déchiffrage (reconnaissance des signes),
2) la compréhension (saisie d'un sens au
niveau de l'énoncé) et
3) l'interprétation (formulation d'un sens
au niveau du message).
Lire un
texte comme un article de journal en français, par
exemple, exige d'abord qu'on sache lire (et
singulièrement, lire le français), puis qu'on
comprenne le sens des phrases (grâce à une
compétence morpho-syntaxique, sémantique et
éventuellement à un domaine de connaissances), et
enfin qu'on puisse reconstituer le sens du texte,
qui n'est pas seulement informatif, mais englobe
aussi le point de vue et les intentions de l'auteur,
la pertinence ou la véracité de l'article, les
stratégies discursive ou rhétoriques mises en œuvre,
etc.
Au final, le sens du
message comprendra aussi la relation du texte à son
contexte (historique, politique, culturel, etc.). Vu
d'un point de vue négatif, l'incapacité à lire
l'article (déchiffrage) relève de l'analphabétisme,
alors que l'incapacité à le comprendre par manque de
compétence sémantique (mots inconnus) et/ou de
connaissances (notions inconnues) relève de l'illettrisme.
L'incapacité à saisir le sens du message recouvre
une plage de compétence trop vaste pour être ainsi
catégorisée; on pourra parler, informellement au
moins, d'inculture, d'insensibilité, de myopie
intellectuelle — termes péjoratifs qui soulignent
l'absence de mesure objective à ce niveau.
Parler de
«décodage» ne doit pas forcement impliquer que le
récepteur doit effectuer une opération exactement
inverse à celle de l'émetteur pour reconstituer le
sens ; en effet, le récepteur construit un
sens et ne peut être tenu seul responsable
d'éventuelles divergences par rapport au sens
encodé, souvent dues à des ambiguités inhérentes au
processus de communication, ou encore au bruit.
Lorsqu'il y a méprise, il faudra toujours se
demander dans quelle mesure celle-ci peut
s'expliquer par l'ambiguïté ou l'opacité du
message — qui peut résulter de la
polysémie ou d'une dépendance excessive sur la
présomption, l'inférence ou l'implication.
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D.
La Redondance
La
redondance est un phénomène de sur-détermination
qui consiste généralement à mettre en œuvre
plusieurs systèmes signifiants pour produire un
même sens, par exemple, lorsque je dis à la
pâtissière «Je voudrais un éclair au chocolat.» en
montrant un éclair du doigt. Je peux aussi
intensifier la redondance en montrant un éclair du
doigt et en disant « Je voudrais cet éclair
au chocolat, là, le gros qui est au fond. »
Note 1: La répétition peut être un vecteur de
redondance, mais toute redondance n'est pas une
répétition (dans l'exemple ci-dessus, rien n'est
répété).
Note 2 : La redondance n'est pas (forcément) un
défaut ou une faiblesse communicative, puisqu'elle
sert à renforcer le sens, et s'avère souvent
nécessaire pour compenser les effets du bruit.
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E.
Le Bruit
Tout ce
qui peut gêner, interrompre ou empêcher la
communication. Ce peut être aussi bien «du bruit»
accoustique au sens courant, qu'une tâche d'encre
sur une page, la personne devant vous qui vous
empêche de bien voir ce qui se passe sur la scène,
etc.
Le bruit n'est pas
un accident extérieur au phénomène de
communication, et doit en être considéré comme
partie intégrante; nombreux sont les aspects du
langage et des autres codes qui ont pour fonction
(partiellement au moins) de compenser le bruit:
c'est le cas de la redondance.
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F.
Le Référent et la Référence
Phénomène
de renvoi d'un signe
à une réalité concrète hors de l'univers du
discours. Selon les écoles de pensée, le référent
(ce à quoi le signe renvoie) est inclus ou exclus
du cadre sémiologique: tout dépend si l'on
considère le référent comme une entité physique,
ou comme la perception de cette entité à un stade
pré-linguistique. Mais on doit en tous cas
distinguer le référent du signifié, concept qui se
lie à un signifiant pour former un signe.
Plus généralement, la référence est le phénomène
de renvoi à un référent qui permet d'embrayer le
discours sur une réalité extra-linguistique
relevant souvent du domaine
de connaissance. C'est particulièrement vrai
pour les noms propres, qui ne renvoient à aucun
signifié : « Louis XIV » n'a aucune
définition (contrairement à un nom commun comme
« roi ») et renvoie à un ensemble
variable de données que l'on peut avoir sur cette
personne. Dans le cas d'un personnage de fiction
(« Emma Bovary »), le nom propre renvoie
à l'ensemble des informations sur ce personnage
contenues dans l'œuvre où il/elle figure.
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]
|
G.
Le Domaine de connaissances
Tout
locuteur dispose d'un domaine
de connaissance — tout ce qu'il/elle
sait — qui joue un rôle important
dans la communication puisqu'il permet
d'utiliser la référence, de « parler de
quelque chose » et d'être compris sans
devoir à chaque fois définir ce dont on parle.
Le domaine de connaissance se distingue du
champ sémantique en ce qu'il englobe des
objets particuliers; connaître le(s) sens du
mot « roi » (sémantique) s'oppose
ainsi à savoir qui est Louis
XIV — c'est-à-dire de posséder un
certaine information de type encyclopédique à
son sujet. (On peut ainsi opposer dictionnaire
et encyclopédie).
Partager
une même culture
implique aussi de posséder en commun, au moins
partiellement, un domaine de connaissances.
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|
H.
L'Implicite et l'implication
Dans
le cadre de la communication, on peut qualifier
d'implicite toute information qui n'est pas
exprimée linguistiquement mais qu'un locuteur
estime transmise. En termes communs, « on
dit une chose pour en faire comprendre une
autre ».
L'implication
consiste souvent à effectuer des fonctions
communicatives à l'aide d'énoncés qui
normalement servent à d'autres opérations :
un passager dans un bus qui dit à son voisin,
assis près de la fenêtre « J'ai vraiment
très chaud; il n'y a pas d'air. » (assertion)
implique en fait une demande (« Pouvez-vous
ouvrir la fenêtre ? »). Une question
oratoire comporte presque toujours une part
d'implicite: « Vous n'avez pas chaud,
vous ? »
(>« Moi,si ! »).
L'inférence
se fonde souvent sur l'implication, mais ne se
confond pas avec elle, car les deux sont
généralement complémentaires : pour qu'une
implication du locuteur réussisse, il faut que
l'interlocuteur réalise une inférence qui lui
correspond. Dans l'exemple ci-dessus, le voisin
peut inférer (incorrectement) que le locuteur
attend seulement une expression de
commisération, et lui répondre: « Oui, en
effet, on étoufffe » — sans
ouvrir la fenêtre. Il n'y a pas, au niveau
linguistique, d'erreur de décodage, mais, sur le
plan pragmatique, un échec de l'implication à
déclencher l'inférence souhaitée.
Voir
L'Implication
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|
I.
La Présomption
Ensemble
de prémisses implicites qu'on suppose être vraies
a priori, et qui déterminent le sens d'un
énoncé ou d'un message. [cf.
implication et inférence, ci-dessus]
On peut distinguer trois sortes de présomptions:
de sincérité, de pertinence, d'ordre.
Exemple : je suis
assis dans un retaurant, et une chaise non occupée
se trouve à ma table. Un inconnu s'approche et me
demande « Excusez-moi, vous avez besoin de
cette chaise ? »; je lui réponds
« Non, allez-y », sur quoi il me
remercie et prend la chaise. L'inconnu a présumé
1) que c'est moi qui « contrôle »
l'attribution de la chaise parce qu'elle se trouve
à côté de moi (présomption d'ordre), 2) que je dis
la vérité lorsque j'indique que je n'en ai pas
besoin (présomption de sincérité), et 3) que je
vais répondre à la demande qui m'est ainsi faite
de prêter la chaise plutôt qu'à la question en
tant que telle (présomption de pertinence).
Lorsque ces présomptions s'avèrent infondées, de
graves incompréhensions en résultent.
Imaginons que, dans
un restaurant ne disposant que d'un d'espace
réduit, je suis assis très près d'un inconnu, qui
quitte momentanément sa place. Arrive un second
inconnu qui me demande « Excusez-moi, vous
avez besoin de cette chaise ? ». La
présomption d'ordre (je contrôle la chaise parce
qu'elle est près de moi) est ici incorrecte :
je n'ai pas l'autorité de céder la chaise. Si
malgré cela je réponds « Non, allez-y »,
c'est la présomption de pertinence qui est
incorrecte, ma réponse s'adressant au sens de
l'énoncé plutôt qu'à l'intention communicative
(solliciter l'emprunt de la chaise), sans
toutefois mentir au sens strict du terme, puisque
je n'ai effectivement pas besoin de la chaise...
La présomption de sincérité est correcte, mais
elle n'est opérante que si la présomption de
pertinence l'est aussi.
La présomption joue
un grand rôle dans les dépositions judiciaires où
un témoin qui a fait serment de dire « toute
la vérité, et rien que la vérité » peut
toutefois ne pas dire la vérité sans se parjurer,
en réponse à des questions qui reposent sur des
présomptions. C'est donc la responsabilité de
l'avocat ou du procureur de poser des questions
qui en sont dénuées.
Il est facile
d'exploiter la présomption à des fins comiques.
Exemple classique tiré du Retour de la Panthère
Rose de Blake Edwards:
L'Inspecteur
Clouzeau entre dans une auberge. L'aubergiste
est derrière le comptoir, au pied duquel est
assis un gros chien.
Clouzeau, à l'aubergiste: Est-ce
que votre chien mord ?
L'Aubergiste: Non.
Clouzeau s'approche pour caresser le chien,
qui lui mord la main.
Clouzeau: Vous m'avez dit que votre chien
ne mordait pas !!
L'Aubergiste: Celui-ci n'est pas mon
chien.
Autre
exemple, ce strip de la BD Garfield:
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L.
Les rôles communicatifs
La
théorie de la communication, dans un souci de
formuler un modèle aussi général et abstrait que
possible, à réduit les communiquants aux qualités
d'émetteur et de récepteur, en leur ôtant toute
détermination (physique, sociale, psychologique)
et en les représentant comme deux entités égales
et équivalentes.
Or, en réalité, il
est rare (sinon impossible) que les communiquants
aient des rôles équivalents, soit qu'il y ait
domination des uns sur les autres (en temps de
parole, dans la latitude d'action, dans la faculté
de diriger l'échange vers un but, etc.), soit
qu'il y ait complémentarité (demander / fournir
des information, se plaindre / sympathiser,
proposer / critiquer, narrer / écouter, etc.).
Ces rôles, pour être
divers, peuvent se ramener à certaines grandes
catégories qui recoupent les fonction
communicatives, puisque toute fonction
implique la participation de l'émetteur et du
récepteur. Mais les rôles sont également
déterminés par les schèmes
qui facilitent (et restreignent) l'engagement
communicatif en spécifiant un nombre limité de
modèles à émuler, et partant définissent des rôles
reconnus — voire stéréotypés — par chaque culture.
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