L'ACTIVITÉ DE CLASSE

Dernière mise à jour: 12 octobre 2013
© 2013 Guy Spielmann

I. Anatomie de l'activité

     Par activité de classe on entend généralement tout ce qui peut être fait en classe par les étudiants, et qui constitue une unité fonctionnelle du programme pédagogique. Bien que les activités puissent varier à l'infini, certains types tendent à revenir fréquemment, souvent en fonction de l'approche et de la méthode employée. Le terme ne remplace pas celui d'« exercice », que l'on définira restrictivement comme un type d'activité reposant sur une manipulation mécanique du langage, qui offre une latitude de choix restreinte ou nulle à l'apprenant.
    En fait, les cours de langue se composent d'un nombre relativement restreint d'activités fortement récurrentes — et parfois fortement ritualisées — transmises d'une génération à l'autre sans que leur nature et leur objectifs soient forcément très clairs ni bien compris par les professeurs qui les utilisent. Qui veut élaborer une démarche didactique cohérente doit donc commencer par examiner avec soin les activités les plus communément employées pour en saisir tout le sens et toute la portée, et éventuellement les modifier.
    Je propose d'analyser les activités de classe selon les critères suivants:

  • ses objectifs, déclarés ou implicites, apparents ou réels. On prendra soin de distinguer ici les sept grands types d'objectifs (de contenu, de compétence, de concept, heuristique, de procédure, d'expérience, de valeur), dont plusieurs peuvent coexister dans une même activité.
  • la cohérence de ces objectifs avec les buts et les finalités du programme pédagogique. Si par exemple l'une des finalités d'un cursus est de sensibiliser les étudiants à une culture autre (en partant du principe que langue et culture sont indisociables), on déterminera si les activités mettent en valeur la dimension culturelle, ou si au contraire elles tendent à la gommer au bénéfice de manipulations purement linguistiques, auquel cas elles contrediraient les finalités.

    Il faut faire preuve de vigilance pour identifier les « activités déguisées » dont les objectifs réels diffèrent des objectifs apparents. Par exemple, on peut déguiser un exercice de conjugaison du subjonctif en activité communicative en créant un contexte: donner des conseils à un ami qui a des problèmes, en utilisant «Il faut que» («Si tu manques d'énergie, il faut que tu fasses de l'exercice»). Mais même le contexte le plus habilement élaboré ne peut changer la nature de cette activité, qui reste un exercice de conjugaison, alors qu'une activité véritablement communicative encouragerait l'apprenant à utiliser diverses formules, structures ou stratégies pour prodiguer des conseils (ex: «Tu manques d'énergie? Et si tu faisais de l'exercice?» «Lorsqu'on manque d'énergie, il parait que l'exercice, ça aide beaucoup» «Il me semble que tu manques d'énergie; tu pourrais faire de l'exercice», etc.).
  • les rôles des apprenants et de l'enseignant, et la nature des interactions que l'activité met en oeuvre. L'enseignant interroge-t-il les étudiants (tous les étudiants? un à la fois? par groupes?) Guide-t-il l'activité de bout en bout ou en confie-t-il partiellement ou complètement la direction aux apprenants? (et dans ce cas, selon quelles modalités?) L'enseigant est-il le point focal de la classe lors de l'activité, ou y a-t-il décentralisation (travail en groupes, focalisation sur un/des étudiants(s))?
  • le type de tâche(s) demandée(s) aux apprenant: parler, écrire, lire, faire de la recherche, dessiner, bouger, écouter, prendre des notes.... Tous les apprenants doivent-ils accomplir le même type de tâche, des tâches diversifiées mais assignées avec précision (l'un fait des recherches, un second prend des notes, un troisième présente le résultat à la classe), ou encore des tâches qu'ils peuvent choisir eux-mêmes? Chaque apprenant doit-il accomplir une tâche unique, ou une séquence de tâches (inventer un questionnaire; poser les questions à ses camarades; noter les réponses; synthétiser les réponses dans un texte narratif et le lire au reste de la classe).
  • le matériel employé: manuel, textes polycopiés, documents authentiques (realia), vidéo, logiciels, etc. Ce matériel est-il utilisé par les apprenants ou seulement par l'enseigant? Est-il partagé par l'ensemble de la classe (tout le monde regarde un même clip), par des groupes (les apprenants travaillent par trois sur des cartes routières), ou utilisé individuellement? Quelle fonction le matériel prend-il dans l'activité? Sert-il de support unique (texte à lire et déchiffrer), d'illustration, de soutien (un prospectus de supermarché sert à planifier les courses en vue d'un repas entre amis).
  • la dimension de l'activité: est-elle déterminée par l'accomplissement d'un objectif (à partir d'un plan de métro parisien, formuler trois itinéraires possibles pour aller de la tour Eiffel à la gare de l'Est), d'une procédure (répondre à une série de questions; mettre au passé un texte au présent), par une durée fixée arbitrairement?
  • le produit de l'activité: oral et/ou écrit? Linguistique et/ou gestuel, pictural, musical, concret (préparer un plat)?

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II. Composantes de l'activité

    La grille ci-dessous vous aide à récapituler les composantes que l'on peut distinguer dans toute activité. Naturellement, il n'y aura pas toujours d'objectifs immédiats, à moyen et à long terme pour chacun des sept types différents; en revanche, chaque activité devrait mobiliser plus d'une fonction communicative. Dans la dernière case à droite, vous devriez définir chacun des paramètres indiqués.

Nom de l’activité Objectif(s) immédiats Objectif(s) à moyen terme Objectif(s) à long terme Fonction(s) communicative(s) mises en œuvre
Paramètres: rôles communicatifs, nature des interactions, type de tâche(s), matériel employé, dimension, produit
contenu, compétence, concept, heuristique, procédure, expérienciel, valeur

 

 

         


III. Mise au point de l'activité

       Les paramètres ci-
dessus — dont la liste n'est naturellement pas exhaustive — doivent être réglés par l'enseigants en fonction de buts précis. Même une activité « traditionnelle » peut changer de nature grâce à certaines modifications judicieuses: la vénérable dictée, par exemple, peut se transformer en activité communicative si on lui donne la forme d'une tâche accomplie dans la réalité de la langue, comme de noter des indications d'itinénaire données par téléphone. Il faut absolument résister à la force d'inertie qui fait considérer un type d'activité comme « bon » ou « mauvais » sans tenir compte du fait qu'il peut facilement être paramétré de façon différente en fonction des besoins; l'important est de laisser le moins de place au hasard et au poids de l'habitude.
      En conséquence, il faut d'abord déterminer avec le maximum de précision les objectifs qu'on veut atteindre. Le reste dépendra de considérations logistiques (de combien de temps, de quels matériels dispose-t-on?), d'un souci d'équilibre et/ou d'articulation (varier les rôles donnés aux étudiants, alterner l'écrit et l'oral, les activités plutôt divergentes et plutôt convergentes, sérier les activités selon la difficulté, le passage de l'individuel au collectif, du particulier au général, ou vice versa), mais aussi d'ajustements à faire en temps réel selon la réaction des apprenants. Il faut être prêt à écourter ou allonger l'activité, l'interrompre pour apporter des précisions ou des éléments d'information supplémentaires, en modifier les paramètres.

A) La détermination des objectifs

     Objectfs au pluriel, car il est difficile d'imaginer une activité qui n'en ait qu'un seul et unique, surtout si l'on tient compte du fait que certains objectifs sont immédiats, d'autres concernent le moyen terme (l'unité, la semaine, le semestre) ou même le long terme (l'ensemble d'un cursus). À plus long terme encore, les objectifs s'assimillent aux finalités qui, si elle ne déterminent pas absolument le détail de chaque activité, doivent pourtant rester à l'esprit de l'enseignant dans un souci de cohérence: si par exemple on veut mener les apprenants à l'indépendance intellectuelle (finalité), il sera bon d'incorporer à son programme pédagogique un nombre suffisant d'activités dont les objectifs recouvrent l'acquisition de cette indépendance.
     La finalité des « cours de langue », est souvent désignées comme la capacité à s'exprimer et à communiquer dans la langue cible, de manière à s'approcher d'une compétence de natif (sinon à l'atteindre) — ce que les non-spécialistes appellent « parler (et écrire) couramment ». Or, cette finalité est largement illusoire car elle ne correspond à aucun objectif précis; c'est pourquoi les échelles de proficience préfèrent définir des paliers à atteindre en fonction de capacités démontrées à accomplir telle ou telle tâche langagière. Les activités proposées aux étudiants devraient, dès le cours de débutants, s'établir en fonction d'objectifs définis selon des compétences de type communicatif, en non pas linguistique, ce qui ne veut pourtant pas dire que le cours se composera dans son intégralité d'activités communicatives. Il reste nécessaire d'incorporer des activités plus convergentes et/ou plus mécaniques, qui permettent de focaliser l'attention sur les formes, sur les structures sémantiques et syntaxiques que les étudiants doivent identifier et dont on veut leur faire saisir le fonctionnement avec précision. Il faut surtout éviter de privilégier exclusivement l'un ou l'autre type (exercice ou activité communicative), ou de les hiérarchiser incorrectement en présentant les exercices comme le vecteur nécessaire de l'« acquisition des bases » alors que les actvités constitueraient une sorte de récréaction, ludique et relativement superflue, un délassement après les séances d'exercices fatalement rébarbatives.
     Même lorsqu'une activité implique manifestement plusieurs objectifs, ceux-ci ne sont pas forcément à atteindre simultanément ni à un même niveau: il y en a de primaires, de secondaires, d'immédiats, de différés... Prenons l'exemple (volontairement) simpliste d'un exercice structural qui consiste à mettre des phrases affirmatives à la forme négative:
«J'aime la pizza aux ananas» ==> «Je n'aime pas la pizza aux ananas». De prime abord, cet exercice n'a qu'un objectif de procédure, la négation en français s'opérant par insertion de certains morphèmes (/ne/, /pas/) et la transformation d'autres morphèmes (/et/ ==> /ni/, /toujours/ ==> /jamais/) pratiquement sans aucune latitude de choix (c'est généralement le cas pour la morphologie).
   Or, notre exercice structurel n'a pas de but en soi, mais constitue l'un des fondements de plusieurs compétences fonctionnelles ou communicatives: nier, contredire, refuser, réfuter, juger, etc. Insistons pour distinguer ces deux sortes de compétences sur le fait que la négation, au sens strictement linguistique (morphologique), n'est pas nécessaire, puisqu'on peut nier, refuser, réfuter, juger sans y avoir recours. Disons donc qu'un objectif de compétence fonctionnelle consistera à faire utiliser à l'apprenant une palette de possibilités syntaxiques et discursives pour effectuer une tâche donnée. Alors que, d'un point de vue strictement morphologique, il n'existe qu'une possibilité de négation de
«J'aime la pizza aux ananas» on peut facilement en envisager plusieurs d'un point de vue pragmatique:

  • « J'abomine la pizza aux ananas. »
  • « Mon opinion sur la pizza aux ananas est plutôt défavorable. »
  • « Oh, moi, la pizza aux ananas... »
  • « La pizza aux ananas, quelle horreur! »
  • « La pizza aux ananas? Plutôt crever de faim! »

Notons que dans les trois derniers cas, le rôle de la prosodie est absolument crucial.

   En allant plus loin, on peut inscrire la négation dans l'ensemble encore plus large des compétences communicatives qu'il est possible de mettre en oeuvre, y compris kinesthétiques  — le hochement de tête latéral sans prononcer un mot, une grimace de dégoût — , les interjections (« La pizza aux ananas, pouah! »), ou même des stratégies discursives et rhétoriques qui emploient la négation sans se limiter à elle (« Je dois dire que la pizza aux ananas ne fait pas partie de mes plats préférés »).
    On retrouve ici la hiérarchie des compétences, dont le niveau communicatif englobe le plus large ensemble; si l'
exercice de négation a un sens, c'est bien dans l'élaboration d'un répertoire de communication où de nombreux éléments ne sont pas passibles d'exercices structurels, parce qu'ils ne relèvent pas de la morpho-syntaxe: les gestes et grimaces relèvent de la compétence kinesthétiques, les interjections (« Pouah! » « Beurk! » « Miam! ») relèvent à la fois de la compétence lexicale et sociolinguistique, la négation sémantique (abominer, défavorable) de la compétence lexicale, et les autres solutions proposées des niveaux de compétence discursive et rhétorique. Ajoutons-y la compétence intonative, qui consisterait à prononcer « J'aime la pizza aux ananas » de façon à faire comprendre que c'est l'inverse qui est vrai.
    Pour aller encore plus loin, il faut considérer que la négation prend souvent une dimension proprement culturelle:
nier, contredire, refuser, réfuter, juger négativement, etc. n'ont évidemment pas la même valeur d'une société à l'autre. Dans certaines, on considère extrèmement impoli (ou pire...) d'exprimer une opinion simplement négative, surtout pour contredire un interlocuteur. En France, c'est plutôt le contraire, puisque la négation n'a pas toujours un sens négatif: « Ce n'est pas mauvais, la pizza aux ananas » est une affirmation clairement méliorative, de même que la double négation dans « Je ne déteste pas la pizza aux ananas. ». Nous pouvons donc envisager ici un objectif de concept, puisqu'il s'agit d'initier les étudiants à la négation non plus en tant que trait morphologique, mais bien en tant qu'outil de découpage du réel propre au français hexagonal; quand, pourquoi, à propos de quoi, avec qui, etc. (n')utilise-t-on (pas) la négation? Et avec quel effet? En France (mais pas au Québec ni au Sénégal…) il est poli de refuser au moins une fois toute proposition d'aide; si donc on offre ses bons offices (« Vous voulez que je vous raccompagne? » « Je vais au supermarché, tu as besoin de quelque chose? » « Ce soir c'est moi qui t'invite! ») et que le/a bénéficiaire refuse, il est entendu que ce refus n'a rien de définitif, et se transformera peut-être en acquiescement lorsque la demande est réitérée une, voire deux fois. Ne pas insister, dans ce cas (c'est différent si l'on propose qqch qui n'est pas forcément bénéfique ou avantageux pour l'autre), c'est contrevenir à une règle du code social français.
     Au passage, on contribuera à l'élaboration d'un autre concept, linguistique celui-là: le rapport entre la morpho-syntaxe et le lexique avec l'acte de parole. On constate ici que la négation en tant qu'acte est divorcée de la forme négative de l'énoncé. Certains énoncés portant la marque morphologique du négatif ont une valeur d'affirmation (la célèbre litote de Chimène dans Le Cid, «Va, je ne te hais point!»), alors que d'autres ont valeur de négation sans en porter la marque (« Je hais les voyages et les exporateurs », célèbre incipit de Tristes Tropiques de Claude Lévy-Strauss), et qu'on peut exprimer un sens similaire par le lexique (mots à préfixe privatif comme « défavorable », « abominer », « impossibilité ») ou même de manière non verbale (par le geste, la grimace).
     Pour résumer, on peut établir une grille où l'on fera figurer en ordonnée les types d'objectif, et en abscisse la progression de l'immédiat au long terme; naturellement, certaines cases vont rester vides (il y a peu d'objectifs de valeur à court terme, peu d'objectifs de procédure qui dépassent le court terme). À partir des exemples donnés ci-dessus, on pourra commencer à la remplir comme suit:

type d'objectifs  immédiats  à moyen terme  à long terme
 procédure passage du déclaratif positif au négatif    
compétence morpho-syntaxique
compétence lexicale
compétence discursive
compétence rhétorique
compétence socio-linguistique
compétence culturelle
compétence stratégique
maîtrise des formes diverses du négatif
usage de diverses formes du négatif pour nier, contredire, refuser, réfuter, juger, etc.
usage de diverses stratégies pour nier, contredire, refuser, réfuter, juger, etc.
 contenu  (...) (...)
la valeur culturelle de la négation en France
 concept  (...)
la négation, acte de parole vs. le négatif, marque morphologique
 (...)
 heuristique  (...)
apprendre systématiquement diverses stratégies pour un même type d'acte de parole
 (...)
 expérience  (...)  (...)  (...)
 valeur (...)  (...)
comprendre que l'utilisation de formes de négation ne reflète pas forcément une « attitude négative »

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 B) Le paramétrage de l'activité

     Une fois ces objectifs identifiés et organisés, on peut commencer à songer aux activités qui vont permettre de les atteindre (au moins théoriquement); or, il existe des centaines d'activités possibles dont la masse peut décourager ou décontenancer l'enseignant, qui risquera de succomber à des réflexes aux conséquences fâcheuses:

  • choisir les activités un peu au hasard
  • recourir systématiquement à un type d'activité (toujours le même) pour un type d'objectif
  • se restreindre à un petit nombre d'activités familières (en restant dans sa « zone de confort »)
  • mettre en oeuvre des activités qui, en fait, ne facilitent pas l'atteinte des objectifs recherchés

Plutôt que de chercher à répertorier une à une toutes les activités possibles et imaginables, il vaut évidemment mieux tenter d'en saisir les paramètres, les variables qui les constituent et que l'enseignant peut manipuler, en nombre beaucoup plus restreint. Une vision conventionnelle tient pour acquis que chaque activité ou exercice a une forme fixe et constitue un tout. En réalité, l'activité et l'exercice comporte toujours des éléments constitutifs susceptibles d'être modifiés ; l'ensemble de ces « réglages » permet de moduler l'activité presque à l'infini, et donc la varier et/ou l'adapter à une situation particulière. Il s'agit donc de déterminer quels sont les paramètres modifiables et quelles modifications sont envisageables.
Certains éléments toujours présents sont manifestement sujets au paramétrage:

1. Le facteur temps: combien dure l'activité ? Si l'activité comprend a priori plusieurs composantes, combien de temps chaque composante dure-t-elle ?
2. Les participants: activité individuelle, en paire, en groupe;
3. La nature de l'interaction entre les participants : cumulative (tous les participants font tour à tour la même chose), complémentaire (chaque participant fait qqch de différent), collaborative (tous les participants font la même chose en commun).
4. Si l'activité se fait à l'oral et/ou à l'écrit (et si l'oral précède ou suit l'écrit)
5. Le support (visuel, textuel, auditif) de l'activité.


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