LES NIVEAUX DE RÉFLEXION ET D'ACTION - BUTS, FINALITÉS, OBJECTIFS

Dernière mise à jour:
12 septembre 2017
© 2017 Guy Spielmann


I. La Notion de «niveau» 

     Lorsque nous enseignons, lorsque nous planifions notre enseignement et lorsque nous y réfléchissons, nous fonctionnons à des niveaux différents. Par exemple, je peux avoir le choix des activités que je fais faire à mes étudiants, mais pas forcément celui du nombre d'heures que compte le cours, la taille de la salle, les équipements dont je dispose. Tenter de motiver les étudiants pour qu'ils continuent leurs études en général ne relève pas du même niveau que chercher à les motiver à apprendre une langue seconde, ni, singulièrement, à apprendre le français. Choisir le type de matériaux que j'utilise en classe de français est une question d'un niveau manifestement différent que celle qui consiste à choisir la classe elle-même, sa situation, sa construction, etc.
     Distinguons donc 6 niveaux qui s'imbriquent l'un dans l'autre à la manière des poupées russes:


     

  • Le niveau de l'EDUCATION C'est le plus général, car l'éducation est le fait de toute une société, qui en délègue la responsabilité à diverses instances ou institutions: l'État, un ministère, un rectorat, un district scolaire, un établissement — mais aussi la famille. En ce sens, l'éducation est un phénomène toujours collectif, dont les enjeux sont aussi financiers, logistiques, politiques et idéologiques; c'est à ce niveau qu'on se posera par exemple la question de l'égalité des chances dans une société, ou celle des finalités — en opposant par exemple éducation et formation.
  • Le niveau de la PÉDAGOGIE C'est le niveau de la relation entre l'enseignant et l'apprenant dans un cadre institutionnel, qui est à la fois celle du « maître » à l'élève — relation fortement asymétrique, donc — mais aussi celle d'un individu à un autre. On peut dire que la pédagogie s'intéresse à l'humain dans le système éducatif, et qu'elle se rapproche par là de la psychologie. Surtout, la pédagogie n'est pas tributaire des savoirs et des domaines spécifiques (contrairement à la didactique), mais traite de l'apprentissage en tant que tel.
  • Le niveau de la DIDACTIQUE C'est le niveau de l'enseignement dans le cadre d'un programme de cours, impliquant des matières, des domaines, des disciplines particulières : on parlera de « la didactique du FLE », de « la didactique des mathématiques ». Contrairement à la pédagogie, la focalisation porte ici sur le savoir ou les habiletés plutôt que sur l'apprenant, même si la didactique se gardera bien de faire abstraction de l'individu.
  • Le niveau de l'APPROCHE L'approche est une des orientations possibles au sein d'une didactique donnée, qui s'exprime par des principes généraux sur le processus d'apprentissage, le rôle de l'enseignant et de l'apprenant, la nature des activités mises en œuvre et des matériaux pédagogiques utilisés. Dans la didactique des langues étrangères et secondes, par exemple, on peut distinguer entre autres une approche communicative, une approche actionnelle, une approche cognitive, une approche mécaniste/behaviouriste, une approche « directe », etc.
  • Le niveau de la MÉTHODE La méthode est la mise en œuvre concrète d'une approche (plusieurs méthodes peuvent donc se réclamer d'une même approche). Elle énonce de façon très spécifique ce qui doit être fait par l'enseignant et par l'élève, avec quels matériaux précis : généralement, la méthode se matérialise par un manuel et du matériel pédagogique (cahiers d'exercice, vidéos, etc.)..
  • Le niveau de la TECHNIQUE La technique est une pratique d'enseignement, comme l'exercice structural, le jeu de rôle, ou la Réponse Physique Totale (TPR). Si chaque approche a souvent des techniques qui lui sont propres, il est possible que l'emploi d'une technique donnée ne reflète pas les orientations de l'approche dont elle est issue: par exemple, toute activité en petit groupe n'est pas forcément communicative, ni même interactive.
  • La dimension logistique trop souvent négligée dans les formulations théoriques ou méthodologiques est parfois déterminante : la taille des locaux, les effectifs, les horaires de cours, la disponibilité des ressources et des équipements déterminent dans quelle mesure on peut effectivement mettre en œuvre une approche, une méthode, une pédagogie donnée.

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II. Pourquoi distinguer ces niveaux?

     Les questions qui se posent à l'enseignant sont généralement complexes dans le sens où elles touchent à des aspects de l'action éducative qui n'impliquent pas les mêmes acteurs, les mêmes centres décisionnels, les mêmes enjeux. Résoudre ces questions ou, plus modestement, y réfléchir de manière productive, exige d'avoir saisi à quel(s) niveau(x) elles se situent, faute de quoi on risque de commettre de sérieuses erreurs d'interprétation, ou simplement de ne pas parvenir à envisager une solution viable, avec à la clé de faux espoirs et de prévisibles frustrations.
     Ainsi, la didactique des langues secondes et étrangères s'est focalisée presque exclusivement sur le niveau de la méthode et de la technique, alors que certains des problèmes qui s'y posent relèvent de niveaux supérieurs : par exemple, ce qu'on peut faire faire à des étudiants dans une salle de classe est largement déterminé par des normes culturelles et des préjugés sur le language ou sur les langues (et même parfois sur des langues particulières : le français est une « belle » langue, mais « plus difficile » que l'espagnol). Les activités communicatives les plus fréquemment employées dans les cursus occidentaux présupposent l'existence de normes communicatives où les interloctureurs sont a priori tous égaux, ce qui n'est pas vrai dans toutes les cultures, etc.

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III. La hiérarchisation épistémologique : fin, finalité, buts
 

   Il faut tout d'abord tenir compte d'une hiérarchie des finalités de l'éducation, puisque chaque activité de classe, chaque acte pédagogique n'existe qu'en fonction de buts à plus ou moins court terme, et dont l'enseignant est plus ou moins conscient.
   Au sommet de la pyramide des finalités se trouve la fin (au singulier) de l'éducation, que l'on peut exprimer comme « l'amélioration de l'humanité », et qui n'est jamais atteint.
  A un niveau de plus grande précision se trouvent les finalités de la pédagogie, qui, elles, sont plurielles car elles peuvent varier d'une culture à une autre ; pour nous, il s'agirait par exemple de l'élimination du racisme et des fractures sociales, de la formation de citoyens responsables et productifs, etc.

 

Ces finalités ne sont réalisables que sur le (très) long terme — sur une génération ou une classe d'âge, par exemple —, mais elles influencent néanmoins l'orientation des programmes scolaires et universitaires.
   Plus concrètement encore, tout programme didactique (cours, cursus, formation diplômante) se donne des buts, dont on pourra se rendre compte à court ou moyen terme — un semestre, une ou plusieurs années — s'ils ont été atteints ou non. Les objectifs sont en revanche vérifiables à très court terme, généralement grâce à un protocole d'évaluation (test, examen, projet de recherche, mémoire).

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IV. La Cohérence verticale 

     Tout programme didactique cohérent non seulement se doit d'avoir des objectifs précis, mais une articulation verticale entre la philosophie de l'institution et/ou de l'enseignant — exprimés dans certaines finalités —, les buts, les objectifs, et enfin les activités qui doivent mener à l'accomplissement de ces objectifs.
     On peut donner un exemple de cette structure pyramidale déjà évoquée comme suit à partir d'un cas très précis, l'utilisation dans un cours de francais « avancé » du conte L'Os de l'écrivain sénégalais Birago Diop. Si, à un niveau strictement pragmatique, travailler sur ce texte va aider les étudiants à apprendre du vocabulaire, des structures linguistiques (la « grammaire »), un contenu ethnographique et géographique, le fonctionnement d'une forme littéraire (le conte), rien de tout ceci ne constitue une finalité en soi, car il faudra encore se demander « pourquoi apprennent-ils ce vocabulaire, ces structures linguistiques, ce contenu, etc.? ». La réponse (ou les réponses) dépassent le cadre de la classe, de la matière enseignée, et atteint à la raison d'être de l'enseignement ; comme le dit Reboul, « Que faut-il enseigner ? » nous renvoie toujours à une interrogation plus fondamentale, « Pourquoi enseigner ? ».

    On voit ici que le descriptif à chaque niveau devient progressivement plus spécifique, jusqu'aux activités particulières dont le cours est composé : dans ce cas, lire le texte et relever le vocabulaire propre au milieu socio-culturel (à la fois ouest-africain et musulman) ; expliquer le contexte de l'incident (la sècheresse, le sacrifice du bœuf) ; justifier la conduite du héros, de sa femme et de son frère de case selon la logique des rapports sociaux dans une société villageoise traditionnelle ; expliquer pourquoi ce conte est humoristique, etc.
    Ces activités peuvent se conduire selon des méthodes et des techniques variées : par l'illustration, par le jeu de rôle, par une enquête...; ils peuvent se faire en groupe ou individuellement, et éventuellement à l'aide de ressources documentaires diverses (images, film, musique) qui viennent compléter le texte proprement dit. Elles vont mettre en œuvre un certain nombre de compétences et d'habiletés communicatives et linguistiques sur lesquelles l'enseignant mettra plus ou moins l'accent.

     On constate sur le schéma ci-dessus que la distance est grande entre le but, les finalités, et le travail fait en classe ; il faut justement remarquer que la promotion des finalités ne se fait pas seulement de manière explicite, en expliquant par exemple aux étudiants que le racisme et l'intolérance sont néfastes, ou bien en les faisant travailler sur un texte dont le but est justement de démontrer ou illustrer les méfaits du racisme et de l'intolérance (par exemple, Les Damnés de la terre de Franz Fanon). Il s'agit ici d'exposer les élèves à une autre culture, et de les sensibiliser à sa spécificité, qu'il devront apprendre à saisir sans la comparer avec leur propre culture. C'est en effectuant ce travail qu'ils arriveront à approcher les cultures autres sans les juger, premier pas vers la tolérance.
     D'autre part, « améliorer l'humanité » peut s'interpréter de diverses manière, car chaque société, chaque culture tend à promouvoir des finalités qui lui sont propres: certaines poussent l'apprenant à remettre en cause le système où se fait l'apprentissage pour faire de lui un esprit indépendant ; d'autres, beaucoup plus nombreuses, visent à la reproduction, c'est-à-dire à former des élèves qui poursuivent et pérennisent la voie tracée par leurs maîtres. Ce genre de finalité a subi de sérieuses critiques en ce qu'il s'accompagne d'une reproduction sociale qui, plus ou moins subrepticement, conduit chaque élève à « rester à sa place », celle du milieu socio-économique d'où il est issu. Dans les pays les plus développés, les systèmes éducatifs en France (avec les grandes écoles) et en Grande-Bretagne (avec Cambridge et Oxford) offrent de flagrants exemples de reproduction sociale à peine déguisée.
     L'enseignant peut se sentir dépassé par des enjeux qui engagent toute une société ou tout un pays, et ne se croire qu'un agent impuissant de forces impossibles à contrôler au niveau de sa salle de classe. En fait, le problème se situe justement dans l'acceptation par chacun du système tel qu'il est, et de la formation qu'on y a soi-même reçu.

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V. Hétérogénéité des finalités

   Les finalités d'un programme d'apprentissage son rarement homogènes, car elles répondent à des priorités, des intérêts, des parti-pris issus d'au moins cinq sphères qui s'intersectent sans se confondre tout à fait :
• Finalités individuelles : celles que l'apprenant lui-même se fixe
• Finalités sociales : celles qui sont imposées/suggérées/préconisées par le groupe social (famille, classe, nation) auquel l'apprenant appartient
• Finalités institutionnelles : le cas échéant, finalités fixées par un système éducatif où se déroule l'apprentissage
• Finalités professionnelles : le cas échéant, finalités fixées par les spécialistes, les experts dans une matière donnée, qui se reflètent dans les matériaux pédagogiques disponibles
• Finalités commerciales : le cas échéant, finalités fixées par les organismes à but lucratif qui commercialisent des programmes d'apprentissage (« séjours linguistiques », « méthodes » pour l'auto-apprentissage), des manuels et des matériaux pédagogiques.

   Il n'est pas rare que ces finalités diverses soient en fait incompatibles, ce qui se traduit soit par une certaine incohérence pédagogique, soit par des choix méthodologiques ou logistiques qui ne correspondent pas aux orientations pédagogiques dont on se réclame. Par exemple, un district scolaire ou un établissement adopte le manuel M non pas parce que les enseignants le jugent le mieux adapté à leur programme, mais parce que l'éditeur a consenti un tarif préférentiel.

VI. Activités d'application

Étudiez les documents suivants:

  • la brochure ou les pages Internet de présentation d'une institution où le FLE est enseigné (par ex.: L'Alliance Française)
  • la brochure ou les pages Internet de présentation d'un manuel de FLE
  • la brochure ou les pages Internet de présentation d'une méthode commerciale de FLE (par ex.: Rosetta Stone, Plimseur)
  • les pages Internet de présentation d'un cours spécifique de FLE

— Indique-t-on explicitement ou implicitement les buts et les objectifs recherchés, les approches et méthodes utilisés ? Définit-on les termes et les concepts fondamentaux ? Qu'est-ce qui semble particulièrement précis, et particulièrement flou ? Qu'est-ce qui manque ?
— La cohérence verticale vous semble-t-elle assurée entre les buts et les objectifs recherchés, les approches et méthodes utilisés ?

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