Le Résumé
© 2023 Guy Spielmann
 
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Exemple 1

L'exil intérieur
Roland Jaccard, L'Exil intérieur, Schizoidie et civilisation, P.U.F. (347 mots)

     Dans le train qui me ramenait de Zurich à Lausanne, durant l'été 1974, j'observais dans le wagon-restaurant la soixantaine de dïneurs solitaires, pour la plupart des hommes, répartis par table de quatre. Ils mangeaient en silence, sans lever les yeux ou alors le regard absent, perdu. Personne ne voyait personne. Personne ne parlait à personne. La campagne helvétique, éclaboussée de soleil, avec ses maisonnettes propres et ses champs ondoyants, était aussi abstraite que la nourriture que l'on me servait, que ce wagon silencieux.
     Le repas terminé, mon voisin, un solide Helvète d'une cinquantaine d'années, au visage franc et buriné, commanda un kirsch. Il plongea un sucre dans son verre et, de satisfaction, me sourit; je répondis à son sourire par un sourire. Il plongea alors un second sucre dans son kirsch et, l'espace de quelques secondes, tendit imperceptiblement sa main dans ma direction; vraisemblablement, il souhaitait que je goûte le canard qu'il avait préparé à mon intention. Mais entre nous, entre nos corps, il y avait un mur. Un mur infranchissable. Son geste avorta.
     Ces hommes dans ce wagon-restaurant vivaient avec l'idée que chacun est un îlot; un îlot à respecter. Et qu'on entre pas impunément en contact avec ses semblables.
     Aussi ne s'adressaient-ils pas la parole. Mais dans leur silence, que de dialogues angoissés, souriants ou exaltés! Dialogues avec un fils, une mère, une maîtresse, un patron—intériorisés. Dans notre imaginaire, que d'êtres réels et inventés que nous construisons et reconstruisons, modelons et remodelons sans fin. Nous ne parlons plus à autrui; nous dialoguons avec autrui en nous. Cela m'apparut alors clairement.
     L'exil intérieur, c'est ce retrait de la réalité chaude, vibrante, humaine, directe; et le repli sur soi; la fuite dans l'imaginaire. Voilà à quoi je songeais dans ce wagon-restaurant.
     Restait une question: comment l'homme, animal social et sociable (tout au moins me l'avait-on enseigné), en était-il arrivé à se couper d'autrui ? Par quel processus la sphère du privé, de l'intime, à laquelle nous tenons souvent plus qu'à nous-même, nous a-t-elle conduit à cette schizoïdie généralisée?


Le premier travail auquel nous allons nous livrer est celui du classement des informations contenues dans ce texte selon trois catégories: l'essentiel (qui devra figurer dans le résumé), le secondaire (qui pourra éventuellement figurer dans le résumé selon le nombre de mots permis, et l'accessoire (ou le superflu, qui sera forcément exclu du résumé).

 ESSENTIEL  SECONDAIRE ACCESSOIRE 
solitaires

en silence, sans lever les yeux... regard absent, perdu. Personne ne voyait personne.
Personne ne parlait à personne.

silencieux
 (Suisse) train... Zurich à Lausanne

soixantaine

hommes par table de quatre
mangeaient
campagne (éléments de description)
il y avait un mur. Un mur infranchissable

chacun est un îlot, on n'entre pas impunément en contact avec ses semblables
... ne s'adressaientils par. la parole
... leur silence
-----------------------------------------------
 Anecdote détails de l'anecdote (éléments de description)
dialogues intériorisés

avec autrui en nous
(dialogue intériorisé) dialogues angoissés, souriants...
exaltés avec un fils, une mère, une maïtresse, un patron.
Dans notre imaginaire... sans fin.

Cela m'apparut clairement

de la réalité chaude, vibrante, humaine, directe. Voilà à quoi je songeais dans ce wagon- restaurant
L'exil intérieur...
retrait... repli
fuite dans l'imaginaire.

se couper d'autrui

schizoïdie
Question: comment homme (animal sociable) en vient à se comporter ainsi tout au moins me l'avait-on enseigné; la sphère du privé...

Remarques sur ce tableau

     
Le pointillé horizontal dans la colonne de gauche correspond au début d'une avancée de la pensée. Jusque-là, l'auteur a seulement parlé de la tendance à l'isolement. A partir du quatrième paragraphe apparait l'idée que le dialogue avec autrui est remplacé par un dialogue à l'intérieur de soi-même avec un autrui imaginaire.
     Dans la seconde colonne, nous avons mis le mot « Suisse » entre crochets parce qu'il ne figure pas dans le texte, mais qu'il correspond à plusieurs notations du texte. Nous ne savons pas encore, à ce stade du travail, si nous prendrons en compte cette localisation géographique. Est-elle cruciale pour l'argumentation?
     Notons que, dans la suite du texte, qui n'est pas reproduite ici, Jaccard oppose ce comportement fermé, propre aux pays développés, à la faculté de communication observable chez les personnes originaires du tiers monde. Si nous avions travaillé sur un texte plus long, comportant cette suite, la mention de la Suisse aurait gagné en importance puisqu'elle aurait servi à l'articulation d'une opposition. De ce fait, elle aurait dû passer dans la colonne des éléments essentiels.
     Notons aussi le grand nombre d'éléments dans la colonne de gauche. L'auteur insiste, reformule, explicite son propos, ce qui facilite notre travail.
     Nous allons maintenant rédiger un résumé en une phrase, qui devra prendre en compte l'articulation mise en évidence par le trait en pointillé, en se concentrant sur l'essentiel: absence de dialogue, isolement, fait que tout se passe à l'intérieur de l'individu (d'où le titre du livre: L'Exil intérieur)


Exemple 1

L'individu moderne ne communique plus avec son semblable et tend à s'isoler en remplaçant le dialogue par une sorte de rumination intérieure.

Exemple 2

L'individu moderne se détourne des relations interpersonnelles, se contentant de converser intérieurement avec le petit cercle de ceux qu'il connaît et qu'il a gardés en mémoire.

Résumé en 70 mots (environ 20% de l'original)

Dans les pays industrialisés, l'individu moderne tend à ne plus vraiment communiquer avec son semblable. Chacun se tait et s'enfonce dans son cocon, se réfugiant dans la sécurité d'un monde imaginaire où l'on ne dialogue qu'à l'intérieur de soi-même avec ceux auxquels on pense. On peut se demander comment un être qu'on dit sociable en est arrivé à adopter cette attitude.

Reprise des mots du texte

     Nous avons repris des mots du texte comme «dialogue» ou «sociable». «Dialogue» aurait pu être remplacé par «échange» qui a l'inconvénient d'être plus vague. «Sociable» ne peut être remplacé que par une expression plus coûteuse en mots du type «fait pour la vie en société». En réalité, ces mots ne posant aucun problème de compréhension et étant d'un usage très courant, le fait de les reprendre ne sera pas jugé négativement.
     En revanche, il fallait éviter de reprendre le mot technique «schizoïdie». Le correcteur pourrait penser que vous avez repris ce terme sans le comprendre. Remarquons au passage qu'il était tout à fait possible de faire un bon résumé sans connaître ce mot, dont le sens s'éclaire par le contexte.

Recours à des expressions personnelles

     L'expression «l'individu moderne», employée dans le résumé, fait la synthèse de nombreux éléments présents dans le texte de départ. Bien que l'anecdote illustrative n'implique que des hommes, l'argument est manifestement d'ordre général. L'expression «s'enferme dans son cocon» exprime bien l'idée du texte, mais il aurait fallu l'éviter si l'auteur l'avait employée.

Étude de la déperdition

     Quand on lit le résumé ci-dessus, on se dit qu'il est quand même dommage d'avoir dû abandonner le train, le wagon- restaurant, la description du paysage, l'anecdote du Suisse gourmand amateur de canard au kirsch. C'était pourtant inévitable, car tenter de l'inclure en conservant l'ajout de sens qu'elle apporte nécessiterait un nombre de mot trop importants, ce qui non seulement entrainerait un dépassement de la limite imposé, mais surtout désiquilibrerait le résumé.

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