Exemple
1
L'exil
intérieur
Roland Jaccard, L'Exil intérieur,
Schizoidie et civilisation, P.U.F. (347
mots)
Dans
le train qui me ramenait de Zurich à Lausanne, durant l'été
1974, j'observais dans le wagon-restaurant la soixantaine
de dïneurs solitaires, pour la plupart des hommes,
répartis par table de quatre. Ils mangeaient en silence,
sans lever les yeux ou alors le regard absent, perdu. Personne
ne voyait personne. Personne ne parlait à personne. La campagne
helvétique, éclaboussée de soleil, avec ses maisonnettes
propres et ses champs ondoyants, était aussi abstraite que
la nourriture que l'on me servait, que ce wagon silencieux.
Le repas terminé, mon
voisin, un solide Helvète d'une cinquantaine
d'années, au visage franc et buriné, commanda un
kirsch. Il plongea un sucre dans son verre et, de
satisfaction, me sourit; je répondis à son sourire
par un sourire. Il plongea alors un second sucre
dans son kirsch et, l'espace de quelques secondes,
tendit imperceptiblement sa main dans ma direction;
vraisemblablement, il souhaitait que je goûte le canard
qu'il avait préparé à mon intention. Mais
entre nous, entre nos corps, il y avait un mur. Un
mur infranchissable. Son geste avorta.
Ces hommes dans ce
wagon-restaurant vivaient avec l'idée que chacun est
un îlot; un îlot à respecter. Et qu'on entre pas
impunément en contact avec ses semblables.
Aussi ne
s'adressaient-ils pas la parole. Mais dans leur
silence, que de dialogues angoissés, souriants ou
exaltés! Dialogues avec un fils, une mère, une
maîtresse, un patron—intériorisés. Dans
notre imaginaire, que d'êtres réels et inventés que
nous construisons et reconstruisons, modelons et
remodelons sans fin. Nous ne parlons plus à autrui;
nous dialoguons avec autrui en nous. Cela m'apparut
alors clairement.
L'exil intérieur,
c'est ce retrait de la réalité chaude, vibrante,
humaine, directe; et le repli sur soi; la fuite dans
l'imaginaire. Voilà à quoi je songeais dans ce
wagon-restaurant.
Restait une question:
comment l'homme, animal social et sociable (tout au
moins me l'avait-on enseigné), en était-il arrivé à
se couper d'autrui ? Par quel processus la sphère du
privé, de l'intime, à laquelle nous tenons
souvent plus qu'à nous-même, nous a-t-elle conduit à
cette schizoïdie généralisée?
Le
premier travail auquel nous allons nous livrer est
celui du classement des informations contenues
dans ce texte selon trois catégories: l'essentiel
(qui devra figurer dans le résumé), le secondaire
(qui pourra éventuellement figurer dans le résumé
selon le nombre de mots permis, et l'accessoire
(ou le superflu, qui sera forcément exclu du
résumé).
ESSENTIEL |
SECONDAIRE |
ACCESSOIRE |
solitaires
en silence, sans lever les yeux... regard
absent, perdu. Personne ne voyait personne.
Personne ne parlait à personne.
silencieux |
(Suisse) |
train...
Zurich à Lausanne
soixantaine
hommes par table de quatre
mangeaient
campagne (éléments de description) |
il
y avait un mur. Un mur infranchissable
chacun est un îlot, on n'entre pas
impunément en contact avec ses semblables
... ne s'adressaientils par. la parole
... leur silence
----------------------------------------------- |
Anecdote |
détails
de l'anecdote (éléments de description) |
dialogues
intériorisés
avec autrui en nous |
(dialogue
intériorisé) |
dialogues
angoissés, souriants...
exaltés avec un fils, une mère, une
maïtresse, un patron.
Dans notre imaginaire... sans fin.
Cela m'apparut clairement
de la réalité chaude, vibrante, humaine,
directe. Voilà à quoi je songeais dans ce
wagon- restaurant |
L'exil
intérieur...
retrait... repli
fuite dans l'imaginaire.
se couper d'autrui
schizoïdie |
Question:
comment homme (animal sociable) en vient à
se comporter ainsi |
tout
au moins me l'avait-on enseigné; la sphère
du privé... |
Remarques
sur ce tableau
Le pointillé horizontal dans la colonne
de gauche correspond au début d'une avancée de la pensée.
Jusque-là, l'auteur a seulement parlé de la tendance à
l'isolement. A partir du quatrième paragraphe apparait
l'idée que le dialogue avec autrui est remplacé par un
dialogue à l'intérieur de soi-même avec un autrui imaginaire.
Dans la seconde colonne,
nous avons mis le mot « Suisse » entre crochets parce
qu'il ne figure pas dans le texte, mais qu'il correspond
à plusieurs notations du texte. Nous ne savons pas encore,
à ce stade du travail, si nous prendrons en compte cette
localisation géographique. Est-elle cruciale pour l'argumentation?
Notons que, dans
la suite du texte, qui n'est pas reproduite ici, Jaccard
oppose ce comportement fermé, propre aux pays développés,
à la faculté de communication observable chez les personnes
originaires du tiers monde. Si nous avions travaillé sur
un texte plus long, comportant cette suite, la mention
de la Suisse aurait gagné en importance puisqu'elle aurait
servi à l'articulation d'une opposition. De ce fait, elle
aurait dû passer dans la colonne des éléments essentiels.
Notons aussi le grand
nombre d'éléments dans la colonne de gauche. L'auteur
insiste, reformule, explicite son propos, ce qui facilite
notre travail.
Nous allons maintenant
rédiger un résumé en une phrase, qui devra prendre en
compte l'articulation mise en évidence par le trait en
pointillé, en se concentrant sur l'essentiel: absence
de dialogue, isolement, fait que tout se passe à l'intérieur
de l'individu (d'où le titre du livre: L'Exil intérieur)
Exemple
1
L'individu
moderne ne communique plus avec son semblable et tend
à s'isoler en remplaçant le dialogue par une sorte de
rumination intérieure.
Exemple
2
L'individu
moderne se détourne des relations interpersonnelles,
se contentant de converser intérieurement avec le petit
cercle de ceux qu'il connaît et qu'il a gardés en mémoire.
Résumé
en 70 mots (environ
20% de l'original)
Dans
les pays industrialisés, l'individu moderne tend à ne
plus vraiment communiquer avec son semblable. Chacun
se tait et s'enfonce dans son cocon, se réfugiant dans
la sécurité d'un monde imaginaire où l'on ne dialogue
qu'à l'intérieur de soi-même avec ceux auxquels on pense.
On peut se demander comment un être qu'on dit sociable
en est arrivé à adopter cette attitude.
Reprise
des mots du texte
Nous avons repris
des mots du texte comme «dialogue» ou
«sociable». «Dialogue» aurait
pu être remplacé par «échange» qui
a l'inconvénient d'être plus vague.
«Sociable» ne peut être remplacé
que par une expression plus coûteuse en mots du
type «fait pour la vie en société». En
réalité, ces mots ne posant aucun problème de
compréhension et étant d'un usage très courant,
le fait de les reprendre ne sera pas jugé
négativement.
En revanche, il fallait
éviter de reprendre le mot technique «schizoïdie». Le
correcteur pourrait penser que vous avez repris ce terme
sans le comprendre. Remarquons au passage qu'il était
tout à fait possible de faire un bon résumé sans connaître
ce mot, dont le sens s'éclaire par le contexte.
Recours
à des expressions personnelles
L'expression
«l'individu moderne», employée dans le résumé, fait la
synthèse de nombreux éléments présents dans le texte de
départ. Bien que l'anecdote illustrative n'implique que
des hommes, l'argument est manifestement d'ordre général.
L'expression «s'enferme dans son cocon» exprime bien l'idée
du texte, mais il aurait fallu l'éviter si l'auteur l'avait
employée.
Étude
de la déperdition
Quand
on lit le résumé ci-dessus, on se dit qu'il est
quand même dommage d'avoir dû abandonner le train,
le wagon- restaurant, la description du paysage,
l'anecdote du Suisse gourmand amateur de canard au
kirsch. C'était pourtant inévitable, car tenter de
l'inclure en conservant l'ajout de sens qu'elle
apporte nécessiterait un nombre de mot trop
importants, ce qui non seulement entrainerait un
dépassement de la limite imposé, mais surtout
désiquilibrerait le résumé.
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