Exemple
2
Eloge
de l'âge
Christian
Combaz, Éloge de l'âge, Éditions Robert
Laffont. (844 mots)
Quand j'avais
dix ans, je posai ma main sur celle de mon
grand-père. Je trouvai miraculeux que nous fussions
si dissemblables et pourtant de la même espèce.
C'était une chose si troublante qu'il m'arrivait
d'enfiler Ia veste de son costume afin de voir si,
par hasard, ma peau n'allait pas devenir grise et
ressembler comme la sienne à celle des tortues, mais
je restais lisse, blafard et songeur devant la
glace, et je me disais qu'un jour, j'aurais moi
aussi les cheveux blancs, des plis au coin de la
bouche et un costume rayé.
Cette idée me
causait une grande satisfaction. Atteindre la
vieillesse représentait l'accomplissement d'une
ambition. Ce n'était pas la chute, mais le sommet.
Mon grand-père se plaignait bien un peu de la
fatigue, mais je trouvais que c'était un prix
modeste à payer pour la satisfaction de porter une
canne et de jouir enfin du privilège d'être vieux,
car je ne doutais pas que ce fût un privilège.
Nous étions même assez
nombreux à le penser encore, à cette époque. Le hasard voulut
que je naisse avant le temps de la télévision de masse.
Je suis allé à l'école chez les bons pères. Ma famille n'était
pas d'avant-garde. J'ai donc été élevé à l'abri de la modernité.
À table on n'interrompait pas les grandes personnes.
Mon père n'interrompait pas mon grand-père. Dans les livres,
on célébrait l'âge et l'expérience comme de grandes vertus.
Les illustrations qui ornaient nos manuels d'histoire représentaient
un tas de vieillards célèbres, et la sagesse avait pour
moi la tête de Victor Hugo.
Plus tard, vers
quatorze ou quinze ans, j'ai fait l'expérience d'une
réalité différente. En vérité, ma génération
entière, soit, grossièrement, celle de
l'après-guerre, a découvert qu'on lui avait menti.
Le temps est venu des voitures à crédit, de la
consommation, des vacances au soleil. Nos parents
n'ont pas vieilli comme iIs l'auraient dû. En fait,
ils n'ont pas vieilli du tout. Ils ont acheté des
électrophones. Ils ont découvert les chemises
imprimées. Ils sont allés danser. Nos grands-parents
eux-mêmes auraient, à cette époque, donné toute la
sagesse du monde pour une croisière.
Un peu plus
tard, le prix des croisières ayant baissé, ils sont
partis visiter la planète dans le but de nous
accabler, ensuite, avec leurs projections de
diapositives. Les enfants de ces milieux qu'on
appelle « simples » dont les grands-pères avaient
encore une moustache jaune, des copains de bistrot,
un bout de jardin et un atelier, ne connaissaient
pas leur bonheur. Les autres, comme moi, en étaient
réduits à visiter deux fois l'an un couple de
vieillards amers et pointilleux dans une résidence
en béton qui portait un nom de fleur. Et surtout,
ils ne voyaient pas trace de cette sagesse dont
Cicéron, célèbre auteur de versions latines, nous
disait qu'elle était Ie propre de la vieiIlesse: les
feuilletons télévisés, l'entretien de la voiture,
les visites chez le médecin, voilà plutôt ce dont on
parlait chez nous.
J'avais tout de
même de grands-oncles paysans. Nous allions les voir
en famille, pendant nos vacances à la montagne. Leur
conversation n'était pas gaie, ils sentaient le
chien humide et la soupe de légumes, les femmes
avaient des varices, les hommes du poil aux
oreilles, mais ils inspiraient le respect. Eux, du
moins me décrivaient des choses que je n'avais pas
vues la veille au journal télévisé. Tandis que les
autres, les modernes, les déracinés, les
retraités-à-crédit, ne racontaient que des lieux
communs, des sottises et des insignifiances.
D'ailleurs leur maison
ne sentait rien. D'ailleurs, c'était à peine une
maison. C'était une boîte. Et eux-mêmes, ils ne
ressemblaient à rien. Ils étaient vêtus comme des
adultes dans l'âge mûr, ils parlaient des mêmes
choses, ils conduisaient les mêmes voitures. La
seule différence est qu'ils n'allaient ni à l'usine
ni au bureau. On prétendait, à cette époque, qu'ils
ne savaient pas quoi faire.
QueIques années
plus tard, ils ont trouvé. La société s'est
organisée pour les rendre plus actifs, c'est-à-dire
pour leur permettre de faire illusion plus
longtemps. Le yoga de supermarché, les bains de
soleil, les cosméiiques ont produit ce miracle et
prolongé leur maturité jusqu'aux limites de la
décrépitude. Désormais, on les occupe même
utilement. Ils transmettent un savoir. Ils vont à
l'université. Ils iront un jour peut-être, nous
dit-on, reprendre leur métier.
Mais les
autres, les vieux pour qui le chemin de l'épicerie
est semé d'embûches, ceux qui regardent l'horloge,
ceux qui classent des photos et qui ont mal aux
jambes, ceux qui n'ont plus guère de besoins, de
désirs, ceux qui ne marchent plus sur autrui pour
obtenir satisfaction, ceux qui ne savent ni attaquer
ni se défendre, ceux-là sont à jamais sortis du jeu.
La vie est une
partie de dames. Quand on ne prend pas les pions de
l'adversaire, on se voit souffler les siens. Et
comme souffler n'est pas jouer, la société des
bien-portants joue, et joue encore et creuse sans
cesse l'écart entre ceux qui agissent et ceux qui
les regardent.
Travail
sur le texte
Il est facile de
distinguer dans ce textes trois tranches
chronologiques, nettement marquée par des
indicateurs temporels placés en début de
paragraphe: «Quand j'avais dix ans »... « Plus
tard, vers quatorze ou quinze ans»... «Un peu plus
tard» ...
Mais, à y regarder
de près, il faut regrouper les deux derniers
éléments qui correspondent à deux temps du même
centre d'intérêt. En fait, si l'on considère les
cinq premiers paragraphes, on constate qu'ils
constituent un développement construit sur une
opposition entre un avant et un après.
La coupure entre les deux parties de
l'opposition est marquée par la ligne horizontale
située à la fin du troisième paragraphe.
I.
AVANT (§ 1, 2 et 3): le temps où la
vieillesse était acceptée et valorisée.
II. APRÈS (§ 4 et 5): l'époque actuelle,
celle des «nouveaux vieux» (et la disparition
de la sagesse attachée à l'âge).
Nous
constatons donc une structure antithétique
(d'opposition diamétrale), reposant sur une
opposition qui se superpose à la structure
chronologique):
I.
AVANT («Quand j'avais dix ans»).I
I. APRÈS (regroupe «Plus tard, vers
quatorze ou quinze ans et «Un peu plus tard»).
Laissons
pour l'instant de côté la façon dont s'articule
l'ensemble de ces 5 paragraphes et la suite du
texte. Nous constatons que cette deuxième moitié
du texte (depuis «J'avais tout de même...», au
début du § 6) est construite exactement sur la
même opposition que la première, c'est-à-dire sur
une opposition entre un avant et un après:
I.
Vieux d'autrefois valorisés (début § 6).
II. Vieux d'aujourd'hui critiqués et
plaints (reste du texte).
Il
faut toutefois noter une inégalité entre les
proportions.
Le début du
paragraphe 7 («Quelques années plus tard...» )
montre que l'on retrouve dans cette seconde moitié
la distinction chronologique déjà présente dans la
première moitié du texte. Du fait qu'on retrouve
la même opposition dans les deux cas, avec les
mêmes éléments opposés arrivant dans le même
ordre, on est tenté d'opérer un transfert des
quelques lignes concernant les grands-oncles
(début du § 6) en direction du grand-père (§ 1)
pour éviter d'avoir à se répéter. On ne trahirait,
ce faisant, ni la pensée ni son articulation
puisque l'idée force du texte est bien le
contraste entre les vieillards authentiques
d'autrefois (qui s'acceptaient en tant que tels et
se voyaient valorisés par la société) et les
vieillards d'aujourd'hui qui cherchent à faire
illusion ou qu'on tient à l'écart.
Nous sommes donc en
présence de deux solutions: l'une qui suit le
texte, l'autre plus synthétique mais qui en
respecte quand même la démarche d'ensernble.
Examinons la
première solution. L'articulation du texte
correspond aux phrases suivantes:
I.
QUAND J'AVAIS DIX ANS: les vieux étaient admirés
et intégrés; la vieillesse était un privilège.
II. PLUS TARD... UN PEU PLUS TARD: je découvre
les vieux de la société de consommation
(dépourvus de sagesse).
III. CEPENDANT ... MA CHANCE D'AVOIR DES
GRANDS-ONCLES DANS LA TRADITON: qui ont
conservé, en dépit de leur rudesse, leur
authenticité.
V. TANDIS QUE LES AUTRES: ce sont des adultes
prolongés ou laissés à l'écart.
En
fait, comme nous allons le voir, nous n'avons
vraiment le choix que si le nombre des mots
alloués est important.
Résumés
Résumé en 150 mots respectant les quatre temps du
texte:
L'admiration
que, dans mon enfance, j'avais pour mon
grand-père était à l'unisson de l'attitude que
l'on avait, à cette époque, à l'égard des
vieillards. La vieillesse était valorisée et
l'on célébrait les vertus de l'âge.
Les années ayant
passé, je me suis vu en présence d'une nouvelle
espèce de vieillards. Ils refusaient de vieillir
et entraient de plain-pied dans la société de
consommation. L'antique sagesse avait laissé la
place à des réactions stéréotypées, fruit du
conditionnement médiatique.
Mon lien avec des vieillards
de l'ancien style se maintenait grâce à des grands-oncles
frustes mais authentiques. Mais, en dehors d'eux, le
spectacle était affligeant. Je ne voyais que des vieillards
sans saveur, refusant leur âge et singeant les adultesdu
moins pour ceux qui le peuvent encore, car les autres
sont laissés pour compte par l'impitoyable société des
battants.
Commentaire
La mention des grands-oncles ne justifiait pas un
paragraphe. Nous n'avons donc que trois
paragraphes, mais les quatre temps du texte
apparaissent.
Il est cependant possible, pour un résumé en 150 mots,
de procéder autrement:
J'ai connu
dans mon enfance une époque heureuse où la vieillesse
n'était pas considérée comme une tare. J'admirais mon
grand-père en ces années où l'on reconnaissait aux vieillards
la sagesse de l'expérience et où ils acceptaient d'être
ce qu'ils étaient. Tandis que cette situation changeait,
mes grands oncles continuèrent de représenter cette
sagesse en prise sur la vie.
Mais ces temps sont révolus.
Les vieux d'aujourd'hui, refusant leur âge, tiennent
à continuer de vivre comme des adultes. On les a vus
s'ennuyer, puis s'occuper de mille manières avec, pour
couronner cette vacuité, un départ en croisière, du
moins pour ceux qui le peuvent encore. Les autres vivent
dans la souffrance, méprisés par une société
dont le seul critère est désormais la performance.
Commentaire
Nous avons donc opéré un transfert de ce qui
correspond aux grands-oncles dans la première
moitié du texte, ce qui permet de rendre plus
nette la structure antithétique. Mais on ne peut
pas nous reprocher de ne pas avoir suivi l'ordre
du texte. Les deux solutions sont l'une et l'autre
parfaitement acceptables, car elles respectent le
mouvement d'ensemble de la pensée.
Résumé
en 50 mots
J'ai connu l'époque heureuse où
l'on admirait les vieillards, qui étaient authentiques
parce qu'ils acceptaient leur âge. Mais, aujourd'hui,
les vieux jouent aux adultes et ne sont plus que des
pantins manipulés par la société de consommation, ou
bien des épaves qu'elle rejette.
Commentaire
Le texte est ramené à l'opposition fondamentale
qui le structure. Plus question évidemment, pour
un résumé aussi court, de distinguer des
paragraphes.
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