Introduction à la sémiotique


Théories du signe (1)(2)(3)(4)(5)
   © 2022 Dr. Guy Spielmann


Par « signe linguistique » on désigne l'unité du code—système signifiant—que constitue le langage.


1. Le concept dyadique (à deux composantes) de signe linguistique chez Saussure


 
   Depuis les travaux de Ferdinand de Saussure, on a pris l'habitude d'assimiler le signe au morphème, c'est à dire à la plus petite unité porteuse de sens. Cette unité se compose de deux facettes indisociables, que Saussure compare aux deux côtés d'une feuille de papier, le signifiant et le signifié.
   Dans le Cours de linguistique générale, Saussure commence par définir le signe comme une «entité psychique à deux faces» qui «unit un concept et une image accoustique».
     Le signe n'est donc pas l'association d'un mot et d'une chose, comme on le pense généralement, explique Saussure. Pour lui, comme pour la plupart des linguistes modernes, seule la forme orale du langage est probante, l'écrit n'étant qu'un codage secondaire.
     C'est pourquoi il décrit le signifié comme «image accoustique», c'est-à-dire l'empreinte que laisse un son (ou une séquence de sons) dans notre esprit.
     Ainsi, la séquence sonore latine | arbor | évoque dans l'esprit de celui qui l'entend (et qui parle latin) le concept 'arbre'.
 

 
     Ce modèle de signe est dit dyadique, puisqu'il comprend deux éléments; il restera dominant en Europe jusqu'au milieu du XXe siècle.
      Saussure propose ensuite une ébauche de modèle communicatif où la transmission du sens s'opère à travers la phonation et l'audition. Cette approche du langage comme réalité sonore était nouvelle à une époque où la linguistique se résumait essentiellement à la philologie, c'est-à-dire le travail sur de textes, et le plus souvent sur des langues mortes.

     La primauté du langage oral s'imposera en linguistique pendant plusieurs décennies, jusqu'à ce que la sémiotique réintroduise l'importance des signifiants visuels et critique la notion de l'écriture comme simple transcription de la parole.
     Le grand mérite de Saussure, c'est d'avoir défini clairement le processus de la semiosis en faisant abstraction à la fois du «mot» et de la «chose»; en effet, dans ce qu'on peut appeler la vision «naïve» du language, les mots constituent des sortes d'étiquettes attachées aux objets. 
    Pourtant, Saussure ignore ou évite certaines questions fondamentales qui hypothèquent sa théorie. Tout d'abord, il exclut du système le référent (ce à quoi le langage fait référence), qu'il confond avec les objets du monde. Ainsi, dans un autre exemple pris par Saussure, le signe unissant le signifiant | cheval | au signifié 'cheval' à pour référent soit un cheval précis («Ce cheval est blanc») ou l'ensemble de l'espèce («Le cheval est un animal domestique»)—ce qui ne signifie pas l'animal en tant qu'être biologique, mais en tant que réalité déjà médiatisée par le langage et la culture. Les théories sémiotiques ultérieures ont divergé sur l'inclusion ou l'exclusion du référent dans le système, mais on ne peut plus accepter la prémisse selon laquelle les mots des diverses langues sont simplement des signes différents qui renvoient à une même réalité.
     Tout d'abord, le découpage de la réalité varie d'une culture à l'autre, ce qui se traduit linguistiquement: là où le français distingue entre «chameau» et «dromadaire», l'arabe du Moyen-Orient utilisera des dizaines de mots reflètant une familiarité bien supérieure avec cet animal, et son importance dans la vie quotidienne et l'économie. D'autre part, la réalité d'un objet s'établit en fonction de l'expérience de chacun: même si je me trouve côte à côte avec un Saoudien devant un dromadaire, notre perception (visuelle, olfactive, tactile...) et notre conceptualisation vont notablement différer, au point que si nous prononçons tous deux la même phrase en français—par exemple, «Ce dromadaire a l'air fatigué»—nous ne disons pas du tout la même chose, car et le signifié et le référent correspondant au signifiant | dromadaire | seront dissemblables.
      Un autre problème sérieux de la démarche de Saussure réside dans l'absence d'agent humain. Certes, en posant le principe fondamental de l'arbitraire du signe, il reconnaît en celui-ci un produit culturel, mais sans pousser la logique jusqu'à faire entrer dans l'équation l'acte qui lui donne naissance et reconfirme sa validité à chaque occurrence. Il en résulte une notion immanente du signe et de la semiosis qui fait du langage une entité abstraite; cette notion a mené aux théories formelles qui excluent par principe les questions d'usage linguistique et traitent une langue comme un système dont le fonctionnement peut et doit être expliqué uniquement par des règles internes (Hjlemslev, Chomsky).
      Un dernier aspect problématique de la linguistique saussurienne tient à son atomisme, qui dérive de l'anscence d'agent: l'étude du signe y prime sur celle du système, et finit par donner l'impression que les signes sont des entités stables et indépendantes, des «bulles de sens», plutôt que le résultat d'une association fluctuante entre signifiant et signifié.

Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale. (1916) Publié par Charles Bally et Albert Sèchehaye. Éd. Tullio de Mauro. Paris, Payot, 1978.

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