Notion
ou construction ?
Tout être humain normalement
socialisé (hors états pathologiques) acquiert au
moins une langue naturelle dans laquelle il peut s'exprimer et
communiquer (dite « langue maternelle »
ou « native »). De ce fait, « apprendre
une langue » semblerait constituer une notion universelle.
Néanmoins, ceci ne résiste pas à
l'analyse pour plusieurs raisons : l'acquisition
« naturelle » (c'est-à-dire purement
inductive au sein d'une communauté linguistique, familiale
notamment) se combine en effet à un apprentissage
conscient et institutionnalisé, autrement dit accompagné
par des individus formés (plus ou moins bien…) à
cet effet, et œuvrant dans un cadre prédéterminé
(les programmes, les cursus), le plus souvent avec des matériaux
pédagogiques dédiés.
Par
ailleurs, « apprendre une langue » peut
s'interpréter de manières très différentes
selon les finalités
que l'on reconnaît à cet apprentissage, mais aussi
selon l'extension que l'on donne à son objet:
la « langue » peut s'envisager comme une
somme d'éléments discrets (des mots, des règles
de grammaire), comme un ensemble de pratiques, séparément
ou non d'un contenu particulier, etc.
Il importe donc de commencer par
s'interroger sur le sens exact à donner à cette
expression « apprendre une langue », et
de distinguer au moins deux possibilités.
1.
Une conception dissociative
C'est
la plus courante et la plus ancienne. Elle considère que
la forme et le fond sont de nature distincte, et donc que la langue
est simplement le vecteur permettant d'exprimer des idées,
de mettre des étiquettes sur du réel qui lui pré-existe.
Cette conception se rattache à l'essentialisme, mais aussi
au dualisme philosophique (qui sépare le corps et l'esprit).
Dans les faits, cela se traduit par des cursus où « cours
de langue » et « cours à contenu »
restent distincts, et où les premiers consistent essentiellement
à l'acquisition du lexique et d'un ensemble de règles
morphologiques, syntaxiques et orthographiques (éventuellement,
phonologiques) avec pour objectif une mise en pratique dans des
situations artificielles le plus souvent propres au seul contexte
scolaire/universitaire.
Dans cette vision, on estime que l'apprentissage
du contenu n'est que marginalement lié à celui de
la langue, et que l'apprentissage d'une langue seconde (ou troisième)
se fait en fonction de la langue maternelle, d'où un recours
systématique à la traduction. Les principaux symptômes
d'une conception dissociative sont:
— la séparation nette dans le cursus des « cours
de langue », en début de séquence, et
des « cours de contenu » qui les suivent,
selon le principe qu'il faut d'abord avoir apris la langue—celle-ci
étant implicitement assimilée à une forme
pure—avant d'apprendre quoi que ce soit dans cette langue.
— la séparation nette
dans les activités de classe entre celles qui portent sur
la dimension linguistique (vocabulaire, morphlogie, syntaxe),
et celles qui portent sur le contenu, beaucoup moins importantes.
— la séparation
nette dans les manuels entre exercices linguistiques et contenu,
qui est le plus souvent présenté dans la L1.
— le recours systématique à la traduction
et à l'usage de la L1 dans l'enseignement.
2.
Une conception associative
Elle
considère que la forme et le fond sont indissociables et
que, dans une très large mesure, la manière dont
un individu envisage le réel est déterminée
par les ressources langagières dont il dispose (« hypothèse
Sapir-Whorf »). À de très rares exceptions
près, tout contenu est organiquement lié à
l'expression linguistique, si bien que leur apprentissage se fait
simultanément. Ainsi, pour prendre un exemple très
simple, apprendre le mot horse ne consiste pas seulement
à apprendre un signifiant nouveau qui se subsitue à
un signifiant déjà connu, en français cheval,
en allemand pferd,en espagnol caballo, en latin
equus…, ces divers signifiants renvoyant tous à
un même signifé, à un même concept;
plutôt, on apprend un nouveau signe,
c'est-à-dire à la fois une forme (un signifiant)
et un contenu (signifié, concept) qui y est associé.
Par conséquent, une approche associative
se caractérise par
— l'intégration
dans le cursus de la forme et du contenu, y compris dans les cours
élémentaires.
— l'intégration dans les activités de classe
de la dimension linguistique (vocabulaire, morphlogie, syntaxe)
et d'un contenu (histoire, géographie, sociologie, politique…),
en accentuant la dimension culturelle de ce dernier.
— l'intégration
dans les manuels des exercices linguistiques et du contenu, qui
est donc présenté dans la L2.
— l'exclusion de la traduction et de la L1 dans l'enseignement.
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